La Chute Des Géants: Le Siècle
amourette
d'adolescents, tout au plus une vague attirance tacite. Il avait dû se passer
quelque chose la veille au soir. Peut-être étaient-ils restés à bavarder
jusqu'à une heure avancée. Maud faisait la coquette avec tous les hommes
– c'était sa méthode pour leur soutirer des informations – mais,
cette fois, l'affaire semblait plus sérieuse.
Un instant plus tard, Ethel
entendit Walter chanter une bribe de mélodie. La voix de Maud se joignit à la
sienne, puis ils s'interrompirent en riant. Maud aimait beaucoup la musique et
jouait correctement du piano, contrairement à Fitz qui n'avait aucune oreille.
Apparemment, Walter était musicien lui aussi. Son timbre de baryton léger
aurait été très apprécié au temple Bethesda, songea Ethel.
Elle repensa à son travail. Elle
n'avait pas vu de chaussures cirées à la porte des chambres. Il faudrait
qu'elle se mette en quête des jeunes valets et les secoue un peu. Elle se
demanda avec inquiétude quelle heure il était. Si cette promenade s'éternisait,
elle serait peut-être obligée d'insister pour rentrer.
Se retournant discrètement, elle
ne vit plus ni Walter ni Maud. S'étaient-ils arrêtés, avaient-ils changé de
direction ? Elle resta immobile une ou deux minutes. Elle ne pouvait pas
se permettre de perdre sa matinée à les attendre et rebroussa chemin à travers
les arbres.
Elle ne tarda pas à les
apercevoir. Étroitement enlacés, ils s'embrassaient passionnément. Walter avait
posé les mains sur les fesses de Maud et la pressait contre lui. Leurs bouches
étaient ouvertes et Ethel entendit Maud gémir.
Elle n'arrivait pas à les quitter
des yeux. Elle se demandait si, un jour, un homme l'embrasserait ainsi. Grêlé
Llewellyn lui avait donné un baiser sur la plage pendant une sortie du temple,
mais pas bouche ouverte ni les corps pressés l'un contre l'autre et,
franchement, il n'y avait pas eu de quoi la faire gémir. Le petit Dai
Côtelette, le fils du boucher, avait glissé sa main sous sa jupe au Palace, le
cinéma de Cardiff, mais elle l'avait repoussé au bout de quelques secondes. Il
y en avait un pourtant qu'elle aimait bien, Llewellyn Davies, le fils d'un
instituteur, qui lui avait parlé du gouvernement libéral et lui avait dit que
ses seins étaient comme des oisillons tout chauds dans leur nid.
Malheureusement, il était parti à l'université et ne lui avait jamais écrit.
Avec ces garçons, elle avait été intriguée, avait eu vaguement envie d'aller
plus loin, mais sans passion. Elle enviait Maud.
Celle-ci ouvrit les yeux, aperçut
Ethel et se dégagea de l'étreinte de Walter.
Gelert se mit soudain à geindre
et à tourner sur lui-même, la queue entre les jambes. Que lui arrivait-il ?
Presque immédiatement, Ethel
sentit le sol trembler, comme si un train express passait. Pourtant, la ligne
de chemin de fer s'achevait à plus d'un kilomètre de l'endroit où ils se
trouvaient.
Maud fronça les sourcils et
ouvrit la bouche pour parler, quand on entendit un craquement, tel un bruit de
tonnerre.
« Que diable… ? »
demanda Maud.
Ethel savait.
Elle poussa un cri et se mit à
courir.
5 .
C'était la pause.
Billy Williams et Tommy Griffiths
se trouvaient dans la veine dite des Quatre Pieds, à six cents mètres de
profondeur seulement, plus près de la surface que le niveau principal. La veine
était divisée en cinq secteurs, qui portaient tous le nom de champs de courses
anglais, et ils étaient à Ascot, le plus proche du puits d'aération. Les deux garçons
travaillaient comme hercheurs et étaient chargés d'aider les mineurs plus
expérimentés. Ceux-ci utilisaient leur pic, une pioche à lame droite, pour
abattre le charbon du front de taille, que les hercheurs chargeaient dans des
berlines. Ils s'étaient mis au travail à six heures du matin, comme toujours,
et maintenant, au bout de deux heures, ils faisaient une pause, assis sur le
sol humide, adossés à la paroi de la galerie, laissant le souffle léger du
système de ventilation rafraîchir leur peau, avalant de longues gorgées de lait
sucré tiède à la bouteille.
Ils étaient nés le même jour de
1898 et auraient seize ans dans six mois. Leur différence de développement
physique, si humiliante pour Billy quand il avait treize ans, s'était estompée.
C'étaient à présent deux jeunes gens larges d'épaules, aux bras puissants, qui
se rasaient une fois par semaine, sans en avoir vraiment besoin. Vêtus en tout
et pour tout d'un
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