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La Chute Des Géants: Le Siècle

La Chute Des Géants: Le Siècle

Titel: La Chute Des Géants: Le Siècle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ken Follett
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de la négligence de la propriétaire
et lui rapporta ce qu’avait dit Magda. « Qu’est-ce que tu veux que je
fasse ? s’exclama Katerina avec un désespoir plein de lassitude. Il faut
bien que j’aille à l’usine. Je n’ai personne d’autre à qui le confier. »
    Grigori nourrit l’enfant avec le
bouillon du ragoût et le coucha. Après le dîner, Grigori et Katerina s’étendirent
sur le lit l’un contre l’autre. « Ne me laisse pas dormir trop longtemps,
dit-elle. Il faut que je prenne mon tour dans la queue à la boulangerie.
    — Repose-toi tranquillement,
j’irai à ta place. » Une fois de plus, il serait en retard à la caserne,
mais ça ne ferait probablement pas de vagues : ces derniers temps, les
officiers craignaient trop la révolte pour sanctionner des fautes vénielles.
    Katerina ne se le fit pas dire
deux fois et sombra dans un profond sommeil.
    Quand il entendit sonner deux
heures, Grigori enfila ses bottes et son manteau ; Vladimir dormait
paisiblement, semblait-il. Il partit pour la boulangerie. Il constata avec
surprise que la file était déjà longue. Il aurait dû venir plus tôt. Une
centaine de personnes, emmitouflées jusqu’aux oreilles, se réchauffaient en
tapant des pieds dans la neige. Certaines avaient apporté des chaises ou des
tabourets. Derrière un brasero, un jeune homme dégourdi vendait de la bouillie,
nettoyant les bols vides dans la neige. Une douzaine de personnes vinrent se
masser derrière Grigori.
    En attendant, les gens
échangeaient des rumeurs et rouspétaient. Devant Grigori, deux femmes se
querellaient à propos de la pénurie de pain, l’une la reprochant aux Allemands
de la cour, l’autre aux Juifs qui stockaient la farine. Grigori intervint :
« Qui gouverne le pays ? Quand un tramway verse, c’est le chauffeur
qu’on critique, parce que c’est lui le responsable. Ce ne sont pas les Juifs
qui nous gouvernent, ni les Allemands. C’est le tsar et les seigneurs. » C’était
le message des bolcheviks.
    « Et qui dirigerait le pays
s’il n’y avait plus de tsar ? » rétorqua d’un air sceptique la plus
jeune des deux femmes. Elle portait un chapeau en feutre jaune.
    « Nous, je pense, dit
Grigori. Comme en France et en Amérique.
    — Tout ce que je sais,
rétorqua la plus âgée, c’est que ça ne peut plus durer comme ça ! »
    À cinq heures, le magasin ouvrit
ses portes. Une minute plus tard, la nouvelle se propageait le long de la file :
un seul pain par personne. « Toute la nuit dehors pour un seul pain ! »
maugréa la femme au chapeau jaune.
    Grigori dut encore piétiner toute
une heure avant d’arriver en tête de la queue. La femme du boulanger ne
laissait entrer les clients qu’un par un. La plus âgée des deux femmes pénétra
dans la boutique. Tout de suite après, la boulangère annonça : « C’est
fini, il n’y a plus de pain ! »
    La femme au chapeau jaune supplia :
« S’il vous plaît, encore un ! »
    La boulangère afficha un masque
de pierre. Elle devait avoir l’habitude. « Si on nous livrait plus de
farine, on pourrait en cuire davantage, dit-elle. Tout est parti, vous entendez ?
Je ne peux pas vous vendre du pain si je n’en ai pas. »
    La dernière cliente ressortit du
magasin, la miche cachée sous son manteau, et s’éloigna rapidement. La femme au
chapeau jaune fondit en larmes. La boulangère claqua la porte. Grigori fit
demi-tour et rentra chez lui.
    2.
    À Petrograd, le printemps arriva
le jeudi 8 mars, c’est-à-dire le 23 février selon le calendrier
julien auquel l’empire russe s’accrochait obstinément. Cela faisait trois
siècles que le reste de l’Europe avait adopté le calendrier moderne.
    En cette journée internationale
de la Femme, la température s’était adoucie. Les ouvrières des fabriques de
textile, qui s’étaient mises en grève, convergèrent des banlieues industrielles
vers le centre-ville pour protester contre les files devant les boulangeries,
la guerre et le tsar. On avait annoncé le rationnement du pain, mais
apparemment cela n’avait fait qu’aggraver la pénurie.
    Le 1 er régiment de
mitrailleurs, ainsi que toutes les unités militaires stationnées en ville, fut
affecté au maintien de l’ordre et dut prêter main-forte à la police et aux
Cosaques. Que se passerait-il, se demanda Grigori, si les soldats recevaient l’ordre
de tirer sur les manifestants ? Obéiraient-ils ou retourneraient-ils leurs
armes contre leurs

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