La Chute Des Géants: Le Siècle
étaient détachées, et l'échelle bringuebalait de façon
inquiétante sous son poids. La lumière de la lampe accrochée à sa ceinture
était suffisante pour éclairer les barreaux juste au-dessous de lui, sans lui
permettre pour autant de distinguer le fond du puits. Après tout, se dit-il,
cela valait peut-être mieux.
Malheureusement, la descente lui
laissait le temps de penser. Il se rappela tous les dangers mortels qui
menaçaient les mineurs. Être tué par l'explosion elle-même était une fin
miséricordieusement rapide, réservée aux plus chanceux. La combustion du
méthane produisait du dioxyde de carbone, un gaz suffocant que les mineurs
appelaient la « mofette ». Beaucoup étaient écrasés par des rochers
et se vidaient de leur sang avant l'arrivée des sauveteurs. Certains mouraient
de soif, alors que leurs camarades se trouvaient à quelques mètres d'eux,
cherchant désespérément à dégager l'éboulement.
Il fut pris d'une irrépressible
envie de remonter, de regagner la sécurité au lieu de descendre vers la
destruction et le chaos – mais il ne pouvait pas. Tommy l'avait suivi dans
le puits.
« Tu es là, Tommy ? »
appela-t-il.
La voix de son ami résonna juste
au-dessus de lui. « Oui ! »
Billy en fut tout ragaillardi. Il
descendit plus vite, sa confiance revenue. Bientôt, il aperçut de la lumière
et, un instant plus tard, repéra des voix. À l'approche du niveau principal, il
sentit une odeur de fumée.
Il entendit soudain un vacarme
insolite, des cris et des coups, qu'il chercha à identifier. Ces bruits étaient
si étranges que son courage l'abandonna à nouveau. Il s'obligea à se ressaiSir :
il y avait forcément une explication rationnelle. Il comprit enfin : les
chevaux, terrifiés, hennissaient et frappaient de leurs sabots les parois de
bois de leurs stalles en cherchant à s'échapper. Cette prise de conscience ne
rendait pas le tapage moins inquiétant : il éprouvait exactement le même
sentiment que ces pauvres bêtes.
Arrivé au niveau principal, il
fit le tour du rebord de brique, ouvrit la grille de l'intérieur et posa avec
soulagement le pied sur le sol boueux. La faible lueur souterraine était encore
réduite par des traces de fumée, mais il distinguait les galeries principales.
L'encageur du fond était Patrick
O'Connor, un homme d'une cinquantaine d'années qui avait perdu une main dans
l'effondrement d'un plafond. Comme il était catholique, on l'avait surnommé Pat
Pape. Il dévisagea Billy d'un air incrédule. « Billy Jésus-y-était !
Alors, ça, d'où sors-tu ?
— De la veine des Quatre Pieds.
On a entendu l'explosion. »
Émergeant du puits derrière
Billy, Tommy demanda : « Qu'est-ce qui s'est passé, Pat ?
— Pour ce que j'en sais,
l'explosion a dû se produire à ce niveau, à l'autre extrémité, près de Thisbé.
Le sous-directeur et les autres sont allés voir. » Sa voix était calme,
mais ses yeux laissaient voir sa détresse.
Billy se dirigea vers le téléphone
et tourna la manivelle. Un instant plus tard, il entendit la voix de son père.
« Ici Williams, qui est à l'appareil ? »
Billy ne prit pas le temps de se
demander pourquoi un syndicaliste répondait au téléphone dans le bureau du
directeur des houillères – tout pouvait arriver, en cas d'urgence. « Da,
c'est moi, Billy.
— Que Dieu soit loué de sa
miséricorde, tu es vivant », murmura son père d'une voix brisée, puis il
retrouva sa brusquerie coutumière. « Dis-moi ce que tu sais, fiston.
— Tommy et moi, on était à
la veine des Quatre Pieds. On est descendus au niveau principal par Pyrame.
L'explosion a dû se produire du côté de Thisbé. Il y a un peu de fumée, pas
beaucoup. Mais la cage ne fonctionne pas.
— Le treuil a été endommagé
par le souffle de l'explosion, expliqua Da d'un ton posé. On y travaille. Ce
sera réparé dans quelques minutes. Rassemble au fond autant d'hommes que tu
peux, qu'on puisse commencer à les remonter dès que la cage sera réparée.
— Je vais leur dire.
— Thisbé est inutilisable,
alors débrouille-toi pour que personne n'essaie de sortir par là : ils
risqueraient d'être prisonniers du feu.
— Entendu.
— Il y a des appareils
respiratoires devant le bureau des sous-directeurs. »
Billy le savait. C'était une
innovation récente, exigée par le syndicat et rendue obligatoire par la loi sur
les houillères de 1911. « Pour le moment, l'air n'est pas
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