La Chute Des Géants: Le Siècle
armes
disposées sur la rive nord dirigeaient leur feu sur l’extrémité sud du pont
ferroviaire où s’étaient regroupés les Américains qui le défendaient. Gus
voyait ses hommes se faire faucher les uns après les autres. Il remplaçait les
artilleurs morts ou blessés par de nouveaux, et les tirs ne faiblissaient
jamais.
Les Allemands cessèrent de courir
et se mirent en position, s’abritant derrière leurs camarades tués. Les plus
audacieux s’avançaient, mais ne disposant d’aucune cachette, ils étaient très
vite abattus.
La tombée de la nuit n’y changea
rien : l’artillerie continuait de donner au maximum des deux côtés. Les
ennemis n’étaient plus que des silhouettes confuses éclairées par le feu des
obus et des projectiles qui éclataient. Gus fit déplacer quelques-unes de ses
mitrailleuses lourdes, quasiment certain que cette incursion n’était pas une
feinte destinée à couvrir une autre tentative de traversée ailleurs.
Ils étaient dans l’impasse. Les
Allemands finirent par l’admettre et commencèrent à se replier.
Voyant des brancardiers s’engager
sur le pont, Gus ordonna à ses hommes de cesser le feu.
L’artillerie allemande se tut à
son tour.
« Dieu tout-puissant, lança
Gus à la cantonade. Je crois que nous les avons repoussés. »
6.
Une balle américaine avait brisé
le tibia de Walter. Il souffrait le martyre, allongé sur la voie de chemin de
fer, mais il fut encore plus douloureux pour lui de voir ses hommes battre en
retraite et de ne plus entendre les canons. Il sut alors qu’il avait échoué.
Il hurla quand on le souleva pour
le poser sur la civière. Ce n’était pas bon pour le moral des hommes d’entendre
crier les blessés ; il ne put cependant s’en empêcher. On le transporta le
long de la voie et à travers la ville jusqu’à l’infirmerie où on lui administra
de la morphine. Il perdit conscience.
Il se réveilla la jambe dans une
attelle. Il interrogeait tous ceux qui passaient près de son lit sur le
déroulement de la bataille sans obtenir aucune information, jusqu’au moment où
Gottfried von Kessel vint, goguenard, constater sa blessure. L’armée allemande
avait renoncé à franchir la Marne à Château-Thierry, lui annonça celui-ci. Ils
essaieraient peut-être ailleurs.
Le lendemain, juste avant qu’on
ne le mette dans un train pour le renvoyer chez lui, il apprit que l’essentiel
de la 3 e division américaine était arrivé et avait pris
position le long de la rive sud de la Marne.
Un camarade blessé lui parla d’une
bataille sanglante qui avait eu lieu à proximité de la ville, dans une forêt qu’on
appelait le bois de Belleau. Les deux camps avaient subi des pertes
effroyables, mais les Américains avaient gagné.
À Berlin, les journaux
continuaient à vanter les victoires allemandes, pourtant, sur les cartes, les
lignes ne se rapprochaient pas de Paris et Walter en arriva à la triste
conclusion que l’offensive de printemps était un échec. Les Américains étaient
arrivés trop tôt.
Il quitta l’hôpital. Pour sa
convalescence, il se rendit chez ses parents, où il retrouva son ancienne
chambre.
Le 8 août, les Alliés
attaquèrent Amiens avec les nouveaux « tanks », au nombre de cinq
cents ou presque. Ces véhicules bardés d’acier connaissaient toutes sortes de
problèmes, mais on ne pouvait pas les arrêter. Les Britanniques gagnèrent
treize kilomètres en un seul jour.
Ce n’était que treize kilomètres ;
toutefois, Walter pressentait que le vent avait tourné et, à voir l’expression
de son père, le vieil homme partageait cette impression. Plus personne à Berlin
ne parlait de gagner la guerre.
Un soir de la fin septembre, Otto
rentra chez lui avec la mine sombre de quelqu’un qui vient d’apprendre un
décès. Son exubérance naturelle avait disparu. Walter se demanda même s’il n’allait
pas fondre en larmes.
« Le kaiser est rentré à
Berlin », lança-t-il.
Walter savait que l’empereur
Guillaume se trouvait à un quartier général de l’armée, à Spa, une station
thermale des collines belges. « Pourquoi est-il revenu ? »
La voix d’Otto se brisa et se
perdit dans un murmure, comme s’il ne pouvait se résoudre à annoncer tout haut
la nouvelle : « Ludendorff demande un armistice. »
XXXII.
Octobre 1918
1.
Maud déjeunait au Ritz avec son
ami Lord Remarc, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Johnny
arborait un gilet
Weitere Kostenlose Bücher