La Chute Des Géants: Le Siècle
combativité aux Français,
observa Walter avec nervosité.
Pendant toute la matinée, les
troupes d’assaut se battirent de maison en maison, essuyant de lourdes pertes.
C’était contraire à leur mode d’opération habituel : ils n’auraient pas dû
verser leur sang pour conquérir chaque mètre. Ils avaient été entraînés à
progresser là où la résistance était la plus faible, à s’enfoncer profondément
derrière les lignes ennemies et à couper les communications pour saper le moral
des troupes du front, les priver de commandement et les conduire à se rendre
spontanément à l’infanterie qui suivait. Cependant cette tactique ne
fonctionnait plus, et ils se heurtaient à un ennemi qui semblait avoir repris
du poil de la bête.
Ils avançaient tout de même et, à
midi, Walter se dressait au milieu des ruines du château médiéval auquel la
ville devait son nom. Ce fort, perché au sommet d’une colline, surplombait l’hôtel
de ville. De là, la rue principale s’étirait en ligne droite sur deux cent
cinquante mètres jusqu’au pont routier à deux arches qui enjambait la Marne. Le
seul autre pont, ferroviaire celui-là, se trouvait à l’est, cinq cents mètres
en amont.
Il voyait tout cela à l’œil nu.
Il prit ses jumelles et les pointa vers les positions ennemies sur la rive sud.
Les hommes restaient à découvert, sans précaution, ce qui montrait qu’ils n’avaient
pas l’habitude des champs de bataille. Ils étaient jeunes, pleins d’allant,
bien nourris et correctement habillés. Leurs uniformes n’étaient pas bleus mais
brun clair, remarqua-t-il, effaré.
C’étaient des Américains.
Dans l’après-midi, les Français
se replièrent sur la rive nord du fleuve. Gus put ajuster son armement et
pointer les mortiers et les mitrailleuses sur les Allemands en tirant au-dessus
des soldats alliés. Les canons américains projetèrent une pluie de projectiles
sur les avenues rectilignes nord-sud de Château-Thierry, les transformant en
couloirs de mort. Les Allemands continuaient malgré tout à progresser
résolument en se dissimulant dans les embrasures de porte, de banque en café,
de ruelle en boutique, submergeant les Français sous leur nombre.
Au terme de ces heures
sanglantes, alors que le soir tombait, Gus, qui avait pris position à la
fenêtre d’un étage, vit les dernières taches bleu horizon des forces françaises
décimées refluer vers le pont ouest. Elles livrèrent un dernier combat à l’extrémité
nord du pont pour le défendre encore pendant qu’un soleil rouge descendait
derrière les collines. Puis, dans la pénombre du crépuscule, elles battirent en
retraite, traversant le pont.
Comprenant ce qui se passait, un
petit groupe d’Allemands s’élança à leur poursuite. Gus les vit courir sur le
pont, à peine visibles dans la lumière déclinante. Alors, le pont explosa. Les
Français l’avaient truffé d’explosifs. Des corps volèrent et l’arche nord s’écroula
dans la rivière.
Le calme revint.
Gus s’allongea sur une paillasse
au quartier général et dormit, pour la première fois depuis près de
quarante-huit heures. Il fut réveillé à l’aube par les tirs de barrage
allemands. L’œil vague, il quitta l’usine de machines à coudre pour se
précipiter sur la rive. À la lumière argentée de ce matin de juin, il découvrit
que les Allemands occupaient la rive nord et bombardaient les positions
américaines. Ils étaient sacrément près.
Il fît remplacer les artilleurs
qui avaient veillé toute la nuit par des hommes qui avaient pu prendre un peu
de repos. Puis il passa de position en position, restant toujours derrière les
bâtiments bordant le fleuve. Il leur donnait des conseils pour mieux se
protéger – en plaçant l’arme devant une fenêtre plus petite, en dressant
des panneaux de tôle ondulée pour s’abriter des débris et des éclats ou en
entassant des gravats de part et d’autre de la mitrailleuse. Mais la meilleure
défense consistait à rendre la vie impossible aux artilleurs ennemis. « Faites-leur-en
voir de toutes les couleurs, à ces salauds ! » leur dit-il.
Les hommes obéirent avec
enthousiasme. La Hotchkiss tirait quatre cent cinquante coups par minute avec
une portée de quatre cents mètres, ce qui lui permettait de marteler
efficacement la rive opposée. Les mortiers Stokes étaient moins adaptés :
leur tir courbe en hauteur était prévu pour la guerre de tranchées, où le
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