La Chute Des Géants: Le Siècle
pas Lev qui
allait donner des leçons de politique à Grigori. ««Ce que veulent les Russes, c’est
du pain, des terres et la paix.
— En plus, j’ai une fille en
Amérique. Elle s’appelle Daisy. Elle a trois ans. »
Grigori esquissa une moue
dubitative.
««Je sais ce que tu penses, fit
Lev. Je ne me suis pas occupé de l’enfant de Katerina… comment s’appelle-t-il
déjà ?
— Vladimir.
— Tu te dis que puisque je
ne m’en suis pas occupé, Daisy ne doit pas compter beaucoup non plus pour moi.
Mais ce n’est pas pareil. Je n’ai jamais vu Vladimir. Il n’était pas vraiment
réel quand j’ai quitté Petrograd. Mais j’adore Daisy et, surtout, elle m’adore. »
Cela au moins, Grigori pouvait le
comprendre. Il était heureux que Lev ait assez bon cœur pour être attaché à sa
fille. Et même si son obstination à préférer l’Amérique le stupéfiait, au fond
de lui, il était soulagé qu’il n’ait pas l’intention de revenir. Il aurait
sûrement voulu faire la connaissance de Vladimir. Tôt ou tard, le petit aurait
fini par apprendre que Lev était son vrai père. Si Katerina décidait de le
quitter pour Lev et d’emmener Vladimir avec elle, qu’arriverait-il à Anna ?
Grigori la perdrait-il, elle aussi ? Pour lui, il était bien préférable
que Lev regagne les États-Unis tout seul. Il l’admettait avec une pointe de
culpabilité. « Je pense que tu fais le mauvais choix, mais je ne vais pas
te forcer », lui dit-il.
Lev sourit. « Tu as peur que
je reprenne Katerina, hein ? Je te connais par cœur, mon frère. »
Grigori réprima une grimace. « Oui.
Que tu la reprennes, que tu la lâches encore une fois et que tu me laisses de
nouveau recoller les morceaux. Je te connais aussi.
— Mais tu vas m’aider à
retourner en Amérique ?
— Non. » Grigori ne put
se défendre d’un sentiment de satisfaction en lisant la peur sur le visage de
Lev. Mais il ne prolongea pas son supplice. « Je vais t’aider à retrouver
l’armée des blancs. Eux t’aideront à retourner en Amérique.
— Qu’est-ce qu’on va faire ?
— On va rejoindre la ligne
de front en voiture et même la dépasser un peu. Puis je te laisserai dans le no
man’s land. Après, à toi de te débrouiller.
— Je risque de me faire
tuer.
— Moi aussi. C’est la
guerre.
— Ça vaut sans doute la
peine de tenter le coup.
— Tu t’en tireras, Lev. Tu t’en
tires toujours. »
4.
Billy Williams fut conduit, à
travers les rues poussiéreuses de la ville, de la prison d’Oufa à l’école de
commerce qui abritait provisoirement l’armée britannique.
La cour martiale siégeait dans
une salle de classe. Fitz occupait le bureau du professeur, son aide de camp,
le capitaine Murray, à ses côtés. Le capitaine Gwyn Evans se tenait à proximité
avec un bloc-notes et un crayon.
Billy était sale et mal rasé. Il
avait passé une mauvaise nuit en compagnie des prostituées et des ivrognes de
la ville. Fitz portait un uniforme impeccablement repassé, comme toujours.
Billy savait qu’il était en fâcheuse posture. La sentence était connue d’avance,
l’affaire entendue. Il avait livré des secrets militaires dans les lettres
codées adressées à sa sœur. Mais il était résolu à ne pas laisser transparaître
sa peur. Décidé à faire bonne impression.
Fitz dit : « Vous êtes
en présence d’un conseil de guerre de campagne, autorisé à siéger quand l’accusé
est en service actif ou à l’étranger et qu’il n’est pas possible de s’en
remettre à une cour martiale régulière. Les officiers faisant office de juges
doivent être au nombre de trois, deux s’il ne s’en trouve pas davantage de
disponibles. La cour peut juger un soldat quel que soit son grade et quel que
soit son délit. Elle est habilitée à prononcer la peine de mort. »
Le seul espoir de Billy était d’infléchir
le jugement. Les peines prévues comprenaient les travaux forcés, à perpétuité
ou non, et la peine de mort. De toute évidence, Fitz ne serait que trop heureux
de faire passer Billy devant le peloton d’exécution ou de lui infliger au moins
plusieurs années d’incarcération. Le but de Billy était de semer le doute dans
l’esprit de Murray et Evans sur l’équité du procès, afin de les inciter à plaider
pour une peine de prison de courte durée.
Il demanda : « Où est
mon avocat ?
— Il est impossible de vous
faire bénéficier d’une assistance
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