La Chute Des Géants: Le Siècle
ministre
britannique et ses collègues sont exactement dans la même situation que le
kaiser et ses généraux. Ce sont eux qui sont dans l’illégalité, pas moi. »
Billy s’assit.
Les deux capitaines tinrent un
conciliabule avec Fitz. Billy se demandait s’il n’était pas allé trop loin. Il
n’avait pas mâché ses mots et avait peut-être irrité les capitaines au lieu de
s’attirer leur indulgence.
Mais il semblait y avoir des
tiraillements entre les juges. Fitz parlait d’un ton catégorique tandis qu’Evans
secouait la tête d’un air désapprobateur. Murray paraissait mal à l’aise. C’était
bon signe, songea Billy. Malgré tout, il n’avait jamais été aussi terrifié de
sa vie. Quand il avait affronté les mitrailleuses dans la Somme ou assisté à
une explosion au fond de la mine, il n’avait pas eu aussi peur qu’en cet
instant où sa vie était entre les mains d’officiers malintentionnés.
Ils finirent apparemment par
tomber d’accord. Fitz regarda Billy et dit : « Levez-vous. »
Billy obéit. « Sergent
William Williams, la cour vous juge coupable des accusations formulées contre
vous. » Fitz avait les yeux rivés sur lui, comme s’il espérait lire sur
ses traits le désespoir de la défaite. Mais Billy s’attendait à être reconnu
coupable. C’était la sentence qu’il redoutait.
Fitz poursuivit : « Vous
êtes condamné à dix ans de travaux forcés. »
Cette fois, le visage de Billy se
décomposa. Ce n’était pas la peine de mort, mais dix ans ! Quand il
sortirait, il aurait trente ans. On serait en 1929. Mildred aurait trente-cinq
ans. Ils auraient perdu la moitié de leur vie. Toute bravade disparut de son
regard, et ses yeux s’emplirent de larmes.
Fitz affichait un air de profonde
satisfaction. « L’audience est levée », déclara-t-il.
Billy fut reconduit en prison
pour commencer à purger sa peine.
XXXVII.
Mai-juin 1919
1.
Le premier jour de mai, Walter von
Ulrich écrivit à Maud et posta sa lettre à Versailles.
Sans nouvelles d’elle depuis
Stockholm, il ne savait même pas si elle était encore en vie. Les services
postaux ne fonctionnaient toujours pas entre l’Allemagne et l’Angleterre et,
depuis deux ans, c’était la première fois qu’il avait la possibilité de lui
écrire.
Walter et son père étaient
arrivés en France la veille, avec cent quatre-vingts hommes politiques,
diplomates et fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères qui faisaient
partie de la délégation allemande de la conférence de paix. Ils avaient pris un
train spécial que les chemins de fer français avaient fait rouler au pas pour
traverser les paysages dévastés du nord-est de la France. « Comme si nous
étions les seuls à avoir tiré des obus par ici », avait grommelé Otto. À
Paris, on les avait fait monter dans un autobus qui les avait conduits dans la
petite ville de Versailles et les avait déposés à l’hôtel des Réservoirs. Leurs
bagages furent déchargés dans la cour et on leur fit brutalement comprendre qu’ils
n’avaient qu’à les porter eux-mêmes. Manifestement, songea Walter, les Français
n’allaient pas être des vainqueurs magnanimes.
« Ils n’ont pas gagné, voilà
le problème, commenta Otto. Bien sûr, ils n’ont pas vraiment perdu non plus. C’est
bien parce que les Anglais et les Américains les ont tirés d’affaire – il
n’y a pas de quoi pavaner. Nous les avons battus, ils le savent, et leur
orgueil démesuré en souffre. »
L’hôtel était glacial et
sinistre, mais dehors, les magnolias et les pommiers étaient en fleurs. Les
Allemands étaient autorisés à se promener dans le parc du château et à se
rendre dans les boutiques. Une petite foule était constamment massée devant l’hôtel ;
cependant, la population était moins hostile que les autorités. S’il leur
arrivait d’essuyer quelques huées, la plupart des gens étaient simplement
curieux de voir la tête des ennemis.
Walter écrivit à Maud dès le
premier jour. Il ne fit aucune allusion à leur mariage – il n’était pas
encore certain de pouvoir le faire en toute sécurité ; de plus, la
discrétion était presque devenue chez lui une seconde nature. Il lui expliqua
où il était, décrivit l’hôtel et les environs, et lui demanda de lui répondre
par retour du courrier. Il se rendit en ville, acheta un timbre et posta sa
lettre.
Il attendit sa réponse, dévoré d’espoir
et d’angoisse. Si elle
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