La Chute Des Géants: Le Siècle
rentrons ce soir, annonça-t-il. Toute la délégation.
— Déjà ! » Elle
avait à peine pensé à ce qui se passerait après la signature. C’était un
événement d’une importance si colossale qu’elle avait été incapable de voir
au-delà.
Walter y avait réfléchi, lui, et
il avait une idée. « Accompagne-moi, dit-il simplement.
— Je ne peux pas obtenir l’autorisation
de me rendre en Allemagne.
— De quelle autorisation
as-tu besoin ? Je me suis procuré un passeport allemand pour toi, au nom
de Frau Maud von Ulrich. »
Elle en fut abasourdie. « Comment
as-tu fait ?» Ce n’était pourtant pas, et de loin, la question la plus
importante qui lui occupait l’esprit.
« Je n’ai eu aucun mal à l’obtenir.
Tu es l’épouse d’un citoyen allemand. Tu as droit à un passeport. Je n’ai
exercé de pression que pour réduire la durée des démarches à quelques heures. »
Elle le regarda fixement. C’était
si soudain.
« Viendras-tu ?»
demanda-t-il.
Elle lut dans son regard une peur
effroyable. Il craignait qu’elle ne fasse machine arrière au dernier moment. En
voyant la terreur qu’il éprouvait à l’idée de la perdre, Maud eut envie de
pleurer. Quelle chance elle avait d’être aimée avec une telle passion ! « Oui,
dit-elle. Oui, je viens. Évidemment. »
Il n’était pas encore tout à fait
convaincu. « Es-tu sûre de le vouloir ? »
Elle acquiesça. « Tu te
rappelles l’histoire de Ruth, dans la Bible ?
— Bien sûr. Pourquoi ?… »
Maud l’avait lue maintes fois au
cours des dernières semaines, et elle cita alors les versets qui l’avaient tant
émue. « “ Où tu iras j’irai, et où tu passeras la nuit je la passerai ;
ton peuple sera mon peuple et ton dieu mon dieu ; où tu mourras… ” » Elle s’interrompit, la gorge nouée ; puis, elle
déglutit péniblement et reprit : « “ Où
tu mourras je mourrai, et là je serai enterrée. ” »
Il sourit, mais ses yeux étaient
embués. « Merci.
— Je t’aime, dit-elle. À
quelle heure est le train ?»
XXXVIII.
Août-octobre 1919
1.
Gus et Rosa regagnèrent Washington
le même jour que le président. En août, ils réussirent à obtenir un congé tous
les deux et rentrèrent à Buffalo. Le lendemain de leur arrivée, Gus devait
présenter Rosa à ses parents.
Il était rongé d’inquiétude. Il
tenait tellement à ce que sa mère apprécie Rosa. Or elle se faisait une très
haute opinion de la séduction que son fils exerçait sur les femmes. Elle avait
critiqué toutes les jeunes filles qu’il lui était arrivé d’évoquer. Aucune n’était
assez bien pour lui, socialement surtout. S’il avait voulu épouser la fille du
roi d’Angleterre, elle lui aurait probablement demandé : Tu ne peux
vraiment pas te trouver une gentille petite Américaine bien élevée ?
« La première chose que tu
remarqueras en la voyant, mère, c’est qu’elle est très jolie, dit Gus au petit
déjeuner, ce matin-là. Ensuite, tu t’apercevras qu’elle n’a qu’un œil. Au bout
de quelques minutes, tu découvriras qu’elle est d’une intelligence
exceptionnelle. Et quand tu la connaîtras mieux, tu comprendras que c’est la
plus merveilleuse jeune femme du monde.
— Je n’en doute pas un
instant, répondit sa mère avec son habituelle et prodigieuse mauvaise foi. Que
font ses parents ? »
Rosa arriva en milieu d’après-midi,
alors que mère faisait la sieste et que père était encore en ville. Gus lui fit
visiter la maison et le parc. Elle demanda, un peu intimidée : « Tu
es conscient, j’espère, que je viens d’un milieu beaucoup plus modeste ?
— Tu t’y feras rapidement.
De toute façon, nous n’allons pas vivre dans une splendeur pareille, toi et
moi. Mais nous pourrions tout de même acheter une jolie petite maison à
Washington. »
Ils jouèrent au tennis. La partie
était inégale : avec ses longs bras et ses longues jambes, Gus était trop
fort pour elle et elle avait du mal à apprécier les distances. Mais elle se
défendit vaillamment, essayant d’attraper toutes les balles, et elle remporta
quelques jeux. Et puis elle était si séduisante dans sa robe de tennis blanche
– à mi-mollet comme le voulait la mode – que Gus dut faire un effort
héroïque pour se concentrer sur ses coups.
Ils rentrèrent prendre le thé,
rouges de transpiration. « Mobilise toutes tes réserves de tolérance et de
bonne volonté, lui
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