La Chute Des Géants: Le Siècle
Berlin,
comme prévu. Les Allemands s’étaient fait conspuer par la foule lorsqu’ils s’étaient
rendus à la gare avant de rentrer chez eux. Une secrétaire avait même été
assommée par un jet de pierre. Le commentaire des Français avait été laconique :
« Rappelez-vous ce qu’ils ont fait à la Belgique. » La secrétaire
était toujours à l’hôpital. Et le peuple allemand se montrait farouchement
hostile à la signature du traité.
Bing était assis à côté de Maud,
sur le canapé. Pour une fois, il ne lui faisait pas de charme. « Je
regrette que ton frère ne soit pas là pour te donner quelques conseils »,
dit-il en pointant le menton en direction de la revue.
Maud avait écrit à Fitz pour lui
annoncer son mariage et avait joint la page découpée du Tatler, pour qu’il
sache que la société londonienne ne s’offusquait pas de ce qu’elle avait fait.
Elle ignorait combien de temps mettrait sa lettre pour parvenir à Fitz, et ne s’attendait
pas à recevoir de réponse avant de longs mois. Il serait alors trop tard pour
que Fitz proteste. Il ne lui resterait qu’à faire contre mauvaise fortune bon
cœur, et à la féliciter.
Maud se hérissa en entendant Bing
suggérer qu’il serait judicieux qu’un homme lui dicte sa conduite. « Je
vois mal ce que Fitz pourrait dire !
— La vie ne sera pas facile
dans les prochains temps pour l’épouse d’un Allemand.
— Je n’ai pas besoin qu’un
homme me l’apprenne, tu sais.
— En l’absence de Fitz, je
me sens investi d’une certaine responsabilité.
— Je t’en prie, ne te donne
pas cette peine. » Maud essaya de ne pas se formaliser. Quels conseils
Bing pouvait-il donner, sinon sur la façon de jouer et de s’enivrer dans les
boîtes de nuit du monde entier ?
Il baissa la voix. « J’hésite
à aborder ce sujet mais… » Il jeta un coup d’œil à tante Herm qui comprit
l’allusion et alla se resservir de café. « Si tu déclarais que le mariage
n’a jamais été consommé, nous pourrions obtenir une annulation. »
Maud pensa à la chambre aux
rideaux jaune paille et fit un effort pour réprimer un sourire radieux. « Mais
je ne peux en aucun cas…
— Je t’en prie. Je ne veux
rien savoir. Je voulais simplement m’assurer que tu étais informée de toutes
les solutions possibles. »
Maud lutta contre une indignation
croissante. « Je sais que ça part d’un bon sentiment, Bing…
— Tu pourrais aussi demander
le divorce. Un homme se débrouille toujours pour fournir des motifs à une
femme, tu sais. »
Cette fois, Maud ne put contenir
sa colère. « S’il te plaît, je ne veux plus entendre parler de cela,
dit-elle en haussant la voix. Je n’ai pas la moindre envie de faire annuler mon
mariage, ni de divorcer. J’aime Walter. »
Bing se rembrunit. « Il m’a
semblé qu’il fallait que tu saches ce que Fitz, en tant que chef de famille,
pourrait te dire s’il était là. » Se levant, il se tourna vers sa femme. « Allons-y,
veux-tu ? Inutile que nous soyons tous en retard. »
Quelques instants plus tard, Bea
fit son apparition, vêtue d’une nouvelle robe de soie rose. « Je suis
prête », annonça-t-elle comme si c’étaient eux qui l’avaient fait
attendre. Son regard se posa sur la main gauche de Maud et prit note de l’alliance,
mais elle s’abstint de tout commentaire. Quand Maud lui avait annoncé la
nouvelle, elle avait réagi avec une prudente neutralité. « J’espère que
vous serez heureuse, avait-elle dit sans chaleur. Et j’espère que Fitz ne s’offensera
pas que vous vous soyez passée de son autorisation. »
Elles sortirent et montèrent dans
la Cadillac noire que Fitz avait achetée lorsqu’il avait dû laisser la bleue en
France. Fitz payait tout, songea Maud : la maison où vivaient les trois
femmes, les robes hors de prix qu’elles portaient, la voiture, la loge d’opéra.
Ses factures du Ritz à Paris avaient été adressées à Albert Solman, l’agent d’affaires
londonien de Fitz, et réglées sans la moindre question. Son frère ne protestait
jamais. Walter ne pourrait en aucun cas lui assurer un tel train de vie, elle
le savait. Peut-être Bing avait-il raison, peut-être aurait-elle du mal à se
passer du luxe auquel elle était habituée. Mais elle vivrait avec l’homme qu’elle
aimait.
Bea les ayant mises en retard,
elles arrivèrent à Covent Garden à la dernière minute. Tout le monde était déjà
dans la salle.
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