La Chute Des Géants: Le Siècle
vous demander la permission… » Il sortit de sa
poche un petit écrin de cuir rouge. «… la permission de lui offrir cette bague
de fiançailles. » Il ouvrit le boîtier. Il contenait un anneau d’or orné d’un
unique diamant d’un carat. La bague n’avait rien d’ostentatoire, mais la pierre
était blanc pur, la couleur la plus rare, de taille ronde-brillant, et elle
était d’une beauté fabuleuse.
Rosa en eut le souffle coupé.
Le docteur Hellman échangea un
regard avec sa femme et ils sourirent. « Vous avez notre permission,
évidemment. »
Gus fit le tour de la table et s’agenouilla
à côté de la chaise de Rosa. « Veux-tu m’épouser, chère Rosa ?
— Oh oui, Gus chéri – dès
demain, si tu veux ! »
Il sortit la bague de l’écrin et
la glissa à son doigt. « Merci », dit-il.
Sa mère fondit en larmes.
2.
Gus se trouvait dans le train du
président au moment où il quitta l’Union Station de Washington, le mercredi
3 septembre, à sept heures du soir. Wilson était vêtu d’un blazer bleu, d’un
pantalon blanc et d’un canotier. Il était accompagné de sa femme, Edith, et du
docteur Cary Travers Grayson, son médecin personnel. Vingt et un journalistes
de la presse écrite étaient également à bord, dont Rosa Hellman.
Gus était persuadé que Wilson
pouvait remporter cette bataille. Il avait toujours aimé le contact direct avec
les électeurs. Et, après tout, c’était l’homme qui avait gagné la guerre.
Pendant la nuit, le train
rejoignit Columbus, dans l’Ohio, où le président prononça son premier discours.
De là, il poursuivit sa route – interrompue par quelques visites éclairs –
vers Indianapolis, où il prit la parole le soir même devant vingt mille
personnes.
Mais à la fin de la première
journée, Gus était abattu. Les discours de Wilson avaient été médiocres. Il
avait la voix rauque. Il s’était servi de notes – il était toujours
meilleur quand il improvisait – et, lorsqu’il s’était engagé dans les
détails techniques du traité qui avaient absorbé tout le monde à Paris, il
avait donné l’impression de radoter et avait perdu l’attention de ses
auditeurs. Il souffrait d’une forte migraine, Gus le savait, si violente que sa
vue en était parfois affectée.
Gus était dévoré d’inquiétude. Ce
n’était pas seulement l’état de santé de son ami et mentor qui le préoccupait.
L’enjeu était bien plus important. L’avenir de l’Amérique et du monde entier se
jouerait dans les semaines à venir. Seul l’engagement personnel de Wilson
pouvait sauver la Société des nations de l’étroitesse de vue de ses
adversaires.
Après le dîner, Gus rejoignit
Rosa dans son wagon-lit. Elle était la seule femme journaliste du voyage, et
disposait donc d’un compartiment pour elle seule. Presque aussi enthousiaste
que Gus à propos de la Société des nations, elle n’en était pas moins
objective. « Difficile de trouver quelque chose de vraiment positif à dire
sur ce qui s’est passé aujourd’hui », reconnut-elle. Ils restèrent
allongés un moment sur sa couchette à échanger baisers et câlineries, puis se
dirent bonsoir et se séparèrent. Leur mariage était fixé pour le mois d’octobre,
après le voyage du président. Gus aurait aimé en avancer la date, mais leurs
parents voulaient avoir le temps de préparer la cérémonie et sa mère avait
vaguement marmonné quelque chose à propos d’une hâte indécente. Il avait donc
cédé.
Wilson peaufina son discours,
tapant sur sa vieille Underwood tandis que les plaines infinies du Midwest
défilaient derrière les vitres du train. Ses interventions s’améliorèrent les
jours suivants. Gus lui suggéra d’adapter son texte aux différentes villes où
il faisait étape. Wilson déclara ainsi aux chefs d’entreprise de Saint Louis
que ce traité était nécessaire au développement du commerce international. À
Omaha, il fit valoir que, sans le traité, le monde serait comme une communauté
dont les titres fonciers ne seraient pas solidement établis et où tous les
fermiers seraient assis sur les barrières, fusil à la main. Au lieu de longues
explications, il mettait en relief les éléments les plus importants de façon
concise.
Gus conseilla également à Wilson
de faire appel aux émotions de ses auditeurs. Il ne s’agissait pas seulement de
politique, lui dit-il, mais des sentiments qu’ils vouaient à leur pays. À
Columbus,
Weitere Kostenlose Bücher