La Chute Des Géants: Le Siècle
familial pour dire qu'on allait aux cabinets,
lesquels se trouvaient à mi-parcours de Wellington Row. On avait bâti une
petite cahute de brique couverte d'un toit en tôle ondulée au-dessus d'un trou
profondément creusé dans le sol. La cabane était divisée en deux compartiments,
un pour les hommes, l'autre pour les femmes. Chaque compartiment possédait un
double siège, si bien qu'on allait aux toilettes deux par deux. Personne ne
savait pourquoi les constructeurs avaient choisi cette disposition, mais tout
le monde en prenait son parti. Les hommes regardaient droit devant eux et se
taisaient, alors que les femmes – comme Billy l'avait souvent
constaté – bavardaient cordialement. L'odeur était suffocante, même pour
ceux qui la supportaient tous les jours. Billy essayait toujours de retenir son
souffle quand il était à l'intérieur, et ressortait, haletant. La fosse était
régulièrement vidangée par un homme qu'on surnommait Dai Gadoue.
En revenant dans la maison, Billy
fut enchanté de voir sa sœur Ethel assise à table. « Bon anniversaire,
Billy ! s'écria-t-elle. Je suis venue t'embrasser avant que tu descendes à
la mine. »
Ethel avait dix-huit ans, et
Billy n'avait aucun mal à voir qu'elle était belle, elle. Ses cheveux acajou
encadraient son visage de boucles rebelles, ses yeux bruns étincelaient d'espièglerie.
Peut-être Mam lui avait-elle ressemblé un jour. Ethel portait une seyante tenue
de bonne, une robe noire unie avec une coiffe de coton blanc.
Billy adorait sa sœur. En plus
d'être jolie, elle était drôle, intelligente et courageuse : elle
n'hésitait pas quelquefois à tenir tête à Da. Elle expliquait à Billy des
choses dont tout le monde refusait de lui parler, ce que les femmes appelaient
leurs « règles » par exemple, ou en quoi consistait le crime
d'attentat à la pudeur qui avait obligé le pasteur anglican à quitter précipitamment
la ville. Elle avait été première de sa classe pendant toute sa scolarité et sa
rédaction sur « Ma ville ou mon village » avait remporté le premier
prix à un concours organisé par le South Wales Echo qui lui avait valu
de gagner un exemplaire de l ’Atlas du monde de Cassell.
Elle embrassa Billy sur la joue.
« J'ai dit à l'intendante, Mrs Jevons, que nous allions être à court
de cirage et qu'il fallait que j'aille en ville en chercher. » Ethel
vivait et travaillait à Ty Gwyn, le château du Comte Fitzherbert, à un peu
plus d'un kilomètre de la ville, dans la montagne. Elle tendit à Billy un petit
paquet emballé dans un chiffon propre. « J'ai volé un bout de gâteau pour
toi.
— Oh, merci, Eth ! »
Billy adorait les gâteaux.
« Tu veux que je le mette
dans ta gamelle ? proposa Mam.
— Oui, s'il te plaît. »
Mam sortit une boîte métallique
du placard et l'y déposa avec deux tranches de pain tartinées de graisse et
saupoudrées de sel. Tous les mineurs avaient une gamelle en fer-blanc. S'ils
emportaient dans la fosse leur repas enveloppé d'un chiffon, les souris
dévoraient tout avant la pause de la matinée. Mam dit : « Quand tu me
rapporteras ta paye, tu auras une tranche de lard bouilli dans ta
gamelle. »
Billy ne toucherait pas
grand-chose au début, mais cela ferait tout de même une petite différence pour
sa famille. Il se demanda combien Mam lui laisserait d'argent de poche et s'il arriverait
à économiser assez pour s'acheter la bicyclette de ses rêves.
Ethel s'assit à la table. « Comment
ça va, au château ? demanda Da.
— C'est bien calme. Le Comte et
la princesse sont à Londres pour le couronnement. » Elle regarda la
pendule posée sur la cheminée. « Ils ne vont pas tarder à se lever :
il faut qu'ils soient à l'abbaye de bonne heure. Ça ne va pas lui plaire, à
elle – ce n'est pas une lève-tôt –, mais elle ne peut pas se
permettre d'être en retard un jour comme aujourd'hui. » La femme du comte,
Bea, une princesse russe, se donnait de grands airs.
« Ils voudront avoir des
places devant, pour mieux voir, dit Da.
— Oh, tu sais, on ne peut
pas se mettre où on veut, expliqua Ethel. Ils ont fait fabriquer tout
spécialement six mille chaises en acajou, avec les noms des invités en lettres
d'or sur le dossier.
— Quel gâchis ! s'écria
Gramper. Qu'est-ce qu'ils vont en faire après ?
— Je ne sais pas. Peut-être
que chacun va remporter la sienne, en souvenir.
— Dis-leur de nous en
envoyer une s'ils en ont
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