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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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certain. Fais comme Joséphine a dit, laisse-toé pas mener par la colère pis la
     haine. Regarde ta femme pis tes deux beaux p’tits gars, y ont besoin de toé, de
     ton amour, Ti-Georges, y ont pas besoin de ta colère.
    Son ami se prit soudain la tête entre les mains et éclata en sanglots. Un
     silence troublant tomba sur le salon. Tout à coup, une voix s’éleva. À sa façon,
     Julianna avait trouvé le moyen de rendre hommage à son père et, de sa voix
     cristalline, elle chanta la tristesse, l’abandon, la solitude, le pardon…

    Le lendemain, tout le monde était reparti sauf Léonie et sa filleule. Ernest et
     François-Xavier, qui étaient venus passer la soirée chez les Gagné, étaient au
     salon et terminaient une tasse de thé avec Léonie et Julianna. Ti-Georges venait
     de se retirer dans sa chambre pour rejoindre Marguerite. Les deux petits garçons
     dormaient depuis belle lurette.
    Julianna se leva et annonça qu’elle montait elle aussi. François-Xavier la
     suivit des yeux pendant que Léonie murmurait :
    — A l’aura pas connu son père longtemps, la pauvre p’tite…
    — Mademoiselle Coulombe, dit François-Xavier, j’pourrais-tu monter parler avec
     Julianna ? C’est ben important.
    Léonie hésita. Ernest intervint :
    — Laissez mon jeune y aller. Vous pouvez avoir confiance en lui. Pis moé itou
     j’voudrais vous dire un mot.
    — Bon d’accord, tu peux monter, accorda Léonie, mais tu laisses la porte
     ouverte.
    François-Xavier ne se le fit pas dire deux fois et grimpa les
     marches pour rejoindre Julianna. Il n’était pas question qu’elle reparte pour
     Montréal avant une bonne conversation.
    Au salon, sans savoir pourquoi, Léonie se mit soudain à pleurer. « Tu parles
     d’une réaction ! Pleurer comme une Madeleine, pour quoi, pour qui ? Pour
     Alphonse, quelqu’un qui m’a détestée la moitié de sa vie ? » pensa-t-elle. Elle
     ne comprenait rien à ce qu’elle ressentait, un mélange de haine, de soulagement,
     non, pas vraiment… Tout ce qu’elle savait, c’est qu’une peine immense
     l’accablait. Sur quoi pleurait-elle ? Sur ce que la vie aurait pu être ? Si
     Alphonse n’avait jamais… Si sa sœur n’était pas… Léonie perdait ses balises et
     se retrouvait déboussolée face à l’irrévocable départ qu’est la mort.
    Son fils disparu à l’étage, Ernest prit la femme qu’il aimait dans ses bras.
     Cette fois-ci, celle-ci ne résista pas. Comment avait-elle pu survivre sans la
     présence de cet homme à ses côtés ? Comment avait-elle pu passer à travers les
     épreuves de la vie sans son soutien ? Maintenant, elle ne pouvait plus
     s’imaginer sans cet appui, sans cette chaleur, sans ces lèvres sur les siennes…
     Il était déjà assez pénible de faire face, seule, au passé sans en plus
     affronter l’avenir dans la solitude. Il y avait tellement longtemps qu’il n’y
     avait personne pour s’occuper d’elle, pour la consoler, pour la réchauffer, pour
     l’écouter. Si seule… Si longtemps. C’était sur cela qu’elle pleurait,
     comprit-elle, sur la solitude, la sienne, celle de Julianna, celle d’Alphonse,
     celle de la mort, la plus extrême des solitudes.
    — Oh, Ernest, j’ai tellement besoin de toé ! lui dit-elle.
    Surpris et heureux de cet aveu, Ernest resserra son étreinte.
    À l’étage, François-Xavier hésita. Son cœur battait beaucoup trop fort.
     Julianna devait l’entendre et deviner, ainsi, sa vulnérabilité. Il frappa
     doucement à la porte.
    — Entrez, monsieur François-Xavier Rousseau, énonça la voixclaire de Julianna en détachant chaque mot.
    — Comment saviez-vous que c’était moé ? demanda nerveusement celui-ci en
     prenant soin de laisser la porte entrouverte derrière lui, tel qu’il l’avait
     promis.
    Sa princesse était là, face à la fenêtre, lui tournant le dos. Elle répondit
     sans même se retourner.
    — La maison est pas ben sourde. J’entends tout ce qui se dit en bas par la
     trappe de chaleur.
    François-Xavier remarqua alors l’ouverture grillagée fixée dans le plancher, ce
     qui permettait au poêle à bois, ronflant dans la cuisine, d’expirer à pleins
     poumons jusqu’au deuxième niveau.
    — Vous êtes pas fâchée que j’sois monté ? s’inquiéta le jeune homme en
     reportant son attention sur le dos rigide de la femme en deuil.
    Julianna se détourna et regarda, sans ciller, son visiteur.
    François-Xavier,

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