La colère du lac
était étouffant, la plupart des gens marmonnaient, priaient ou
discutaient par petits groupes, les enfants couraient un peu partout, ne
réalisant pas vraiment ce qui se passait… Tous étaient épuisés. « La veillée au
corps a du bon » se dit François-Xavier. Après tant d’heures, on est vraiment
prêt à laisser partir le défunt, on le désire même… Il regarda son père adoptif
qui se tenait un peu en retrait et François-Xavier pensa à la mort de Rose-Élise
et à celle de Joséphine.
— Tu te rappelles-tu de Joséphine Mailloux qui venait aider chez nous ? dit
tout à coup François-Xavier à Ti-Georges.
Sans attendre une réponse, qui de toute façon ne viendrait pas, il
continua :
— J’avais 17 ans quand est tombée malade. A venait de passer des semaines à
soigner les autres de la même maudite maladie qui allait l’emporter. A voulait
pas me contaminer pis probablement qu’a savait qu’a allait mourir… Enfin, un
jour, a m’a écrit une lettre. Je l’ai jamais lue à personne… même mon paternel
en a jamais rien su…
François-Xavier sortit son portefeuille et délicatement en retira une feuille
soigneusement pliée.
— J’l’ai toujours portée sur mon cœur, toutes ces années, a m’a jamais
quitté.
Ému, il tendit le précieux bien à son ami.
— J’voudrais que tu la lises… s’il te plaît, insista-t-il.
Intrigué, Ti-Georges prit la lettre et sans un mot en fit la lecture.
Mon cher François,
Je te prie de lire cette lettre jusqu’au bout et d’essayer de comprendre… Il aura
fallu que la mort vienne cogner à ma porte pour que j’aie le courage de t’écrire
ces lignes ou plutôt pour que je perde le courage de me taire… Tout ce que je
sais, c’est que je peux pas me résoudre à te quitter sans quetu
saches… Cher fils, fruit de mes amours secrètes, chair de ma chair, tu as bien
lu, tu es ce bébé que j’ai eu en cachette. Comment trouver les bons mots…
J’avais eu à prendre soin d’un marin très malade que le curé avait placé chez
nous. Il venait de l’Irlande et s’appelait Patrick O’Connor, c’est tout ce que
je sais de ton père. Je l’aimais très fort et il m’avait demandée en mariage,
mais mon père, y a rien voulu savoir… Il l’avait chassé de chez nous. Patrick, y
a jamais su que tu existais. Il s’est embarqué sur un bateau avant même que je
devine moi-même ta présence. Si tu savais à quel point j’ai détesté mon père
pour le mal qu’y m’a fait. La haine me rongeait le cœur au point que j’en suis
venue à haïr Patrick autant que je l’avais aimé peu de temps auparavant, au
point que j’en suis venue à me haïr moi-même de m’être laissé aimer, au point
que j’en suis venue à haïr la vie, même celle qui bougeait dans mon ventre…
C’est à ta naissance qu’enfin je me suis réconciliée. Quand on dit que l’amour
est plus fort que tout, c’est vrai… tu en es la preuve. Mais je pouvais pas te
garder. Personne devait savoir. Mais je voulais tout faire pour être auprès de
toi.
François, tu es devenu un beau grand jeune homme et je suis fière de toi. Malgré
le mal qu’on a pu te faire ou qu’on te fera, laisse pas la colère t’envahir,
tourne-toi toujours vers l’amour. Peu importe de quelles entrailles on vient, on
a qu’une seule mère et c’est la Miséricorde et on a qu’un seul père et c’est
l’Amour. Ils sont toujours là, prêts à nous prendre dans leurs bras, à nous
consoler, nous aider. Ils sont notre soutien dans toutes les épreuves. Tu es
leur fils, le mien et celui d’Ernest, car lui et moi on t’aime de tout notre
cœur, de tout notre corps, de tout notre sang. Et, à ton tour, un jour, tu
aimeras ainsi… et tu comprendras… tu comprendras et tu pardonneras à cette mère
de chair qui t’a abandonné et à l’autre qui t’a blessé, de pas avoir pu… de pas
avoir su… du moins, je l’espère…
Je te lègue tout mon avoir. Tu trouveras avec cette lettre mon testament.
Ta maman qui t’aime, Joséphine.
Ti-Georges replia les feuilles de papier, déjà jaunies par les années,et les rendit à son propriétaire silencieusement.
François-Xavier resserra la touchante missive, mit la main sur l’épaule de son
ami et se penchant près de lui murmura :
— Ton père était ce qu’y était pis y a fait du mieux qu’y a pu, j’en suis
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