La colère du lac
François-Xavier s’ennuyait fermement. La jeune fille était pleine de
qualités, mais ils ne savaient jamais de quoi parler ensemble. Une fois toutes
les possibilités sur la neige et le mauvais temps épuisées, un pesant silence
s’installait. Depuis deux mois, c’était le même manège. Il n’en pouvait plus. À
bout de patience, François-Xavier se leva, une bonne heure avant la fin de son
temps de veillée et poliment, bredouillant une quelconque explication, dit le
bonsoir à Eugénie avant de s’enfuir chez lui. Sur le chemin du retour, il
fouetta son cheval. C’était à cause de Julianna ! Il essayait de ne pas trop
penser à elle, mais il n’y parvenait pas. Elle l’obsédait. Il la revoyait sur la
plage, lui faisant face ! Ah ! il lui montrerait qu’il était capable de
construire un château, mais ce serait Eugénie qui l’habiterait, pas elle, se
dit-il. Arrivé devant chez lui, il détela rageusement son cheval qu’il rentra à
l’étable pour la nuit. « Mais arrête donc de te faire des accroires,
François-Xavier Rousseau, se dit-il en s’appuyant, las, sur une poutre de la
grange. Eugénie Larouche pourra jamais être ta princesse… T’as pas le droit de
lui demander de devenir ta femme. » Il ne l’aimait pas et ne l’aimerait jamais. À la prochaine veillée, il le lui dirait, il mettrait un
terme à cette mauvaise comédie. Il n’avait agi que sur le coup de la colère, que
pour se venger de Julianna… Il décrocha le fanal du clou et, lentement, il
rentra chez lui.
— Bonsoir, son père, dit-il en s’engouffrant dans la maison.
— Tu rentres ben de bonne heure, mon garçon, à soir ? interrogea Ernest qui
lisait son journal, se reposant tranquillement en attendant le retour de son
fils.
— J’ai décidé de pas continuer à courtiser la fille à Larouche, lança
François-Xavier sans préambule.
— Ah ! fit son père.
— C’est tout ce que vous m’dites !
— J’voulais pas parler à propos de tes amours, mais si tu me le demandes,
mettons que j’dirais que c’est une bonne décision en baptême. Vous auriez été
malheureux tous les deux, ça se voyait comme le nez en pleine face.
— C’est ce que j’me disais aussi. Eugénie, est ben gentille mais…
— En parlant de gentille fille, j’ai justement eu des nouvelles de Julianna à
soir, annonça calmement son père comme si de rien n’était et en faisant mine de
reprendre la lecture de son journal.
— Des nouvelles de Julianna ?
— Ben oui, j’viens de te l’dire ! Deviendrais-tu sourd en vieillissant, mon
gars ? Pendant que t’étais parti veiller, Alphonse est venu me trouver pour
jaser un peu. J’te dis que lui, y a pas l’air d’aller fort ! J’l’ai pas trouvé
ben vaillant.
— Laissez faire monsieur Gagné, ça fait des mois qu’y annonce qu’y est mourant
pis parti comme y est là, y va en enterrer une couple avant lui. Racontez-moé
plutôt ce que vous savez. A s’est mariée, c’est ça ? Mais non, a l’aurait invité
sa famille, je l’aurais su… À moins qu’a l’annonce la date de son mariage, c’est
ça, la date est fixée ?
— Baptême, que des fois tu m’décourages ! Laisse-moé donc
parler au lieu de t’faire du mauvais sang !
— La dernière fois que j’l’ai vue, a l’était presque fiancée, ça fait que là, a
doit être presque mariée ! dit-il, ironique.
— François-Xavier Rousseau, tais-toé ou tu les sauras pas, les nouvelles !
s’impatienta Ernest. Ta Julianna, est pas mariée pantoute, reprit le paternel
obtenant enfin le silence demandé. A s’est même jamais fiancée ! Pis le
prétendant de Montréal, y est pus dans le portrait.
— Comment ça ?
— J’connais pas le fin fond de l’histoire… Elles sont à Roberval à la maison de
Léonie.
— À Roberval ! Julianna est à Roberval !
— Calme-toé pis laisse-moé finir, baptême ! Elles viendront pas icitte. Elles
sont venues pour vendre la maison, ç’a l’air. Alphonse dit qu’elles resteront
même pas pour Noël. Y aurait p’t-être quelqu’un intéressé à acheter la maison
pis elles viennent régler ça. François-Xavier, que c’est que tu fais ?
s’interrompit Ernest devant son fils qui s’était soudainement levé de sa
chaise.
— J’pars tusuite ! déclara François-Xavier.
— Tu pars ? Pour où ?
— Pour
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