La colère du lac
l’temps est pas aux réjouissances pis que cette journée en est
une de deuil, mais avant que ma princesse change d’idée, mademoiselle Coulombe,
euh, j’vous demande la main de Julianna.
Léonie regarda sa nièce et devant le bonheur évident de celle-ci, déposa sa
tasse de thé sur le petit guéridon et se jeta dans les bras de sa filleule en
pleurant à nouveau.
Ernest sourit à son fils.
— J’pense que Léonie veut dire qu’est d’accord. Félicitations mon garçon,
dit-il avec une vigoureuse poignée de main.
— Marraine, arrêtez de pleurer, on voulait pas vous faire de peine, se désola
Julianna.
— Chus juste très heureuse pour vous deux pis… J’dois être trop fatiguée, trop
d’émotion en si peu de temps… Mon doux Seigneur ! J’en reviens pas !
s’exclama-t-elle en riant nerveusement. Tant qu’à y être, dites-leur donc
Ernest. On pensait attendre mais…
Ernest se racla la gorge, rajusta ses bretelles, lissa le pli de son
pantalon.
— Ouais ben… j’ai demandé à mademoiselle Coulombe de m’épouser pis elle a dit
oui.
Julianna ouvrit la bouche de stupeur, mais aucun son n’en
sortit. C’était la dernière chose à laquelle elle se serait attendue ! Sa tante
et le père de François-Xavier ! Son amoureux semblait aussi surpris qu’elle.
Ernest et Léonie attendaient anxieusement la réaction de leurs enfants adoptifs.
Et s’ils désapprouvaient ? François-Xavier regarda tour à tour son père et la
mère de Julianna. Comment cela avait-il pu se produire ?
Tout à coup, un grand éclat de rire général éclata dans la pièce. Ce fut Ernest
qui déclara :
— Baptême que la vie est folle, mais c’est la vie !
On n’avait pas rajouté de bois dans le poêle qui s’éteignait doucement, et
personne ne songeait à en remettre, tous les quatre avaient le cœur bien au
chaud maintenant.
Ils se mirent à discuter de la date de leur mariage respectif.
— Il faut que ça soit cet été, pas plus tard ! déclara Ernest.
— Et pourquoi on célébrerait pas les deux noces en même temps, tant qu’à
fêter ? proposa Léonie.
Les deux femmes ne détestèrent pas cette idée. Après tout, le curé ne devrait
pas y voir d’objection. Le père mariant son fils adoptif à la fille adoptive de
la mère qu’il épouserait lui-même. C’était assez inusité pour faire exception à
la règle. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre.
Le 2 juillet 1925, date du grand jour, même le journal Le colon de
Roberval releva ce fait divers particulier. « Double noce dans la belle
paroisse de Saint-Henri-de-Taillon » titrait-on. Ernest et Léonie, ayant convenu
de partir en voyage de noces à Montréal et d’en profiter pour régler certains
points par rapport au magasin, quittèrent tout de suite après la cérémonie pour
la maison deRoberval, d’où ils prendraient le train le
lendemain. François-Xavier et Julianna, cependant, ne pouvaient envisager de
voyager pour l’instant. La fromagerie était en pleine production et
François-Xavier devait y voir. Julianna ne s’en plaignit pas. Elle n’avait
qu’une envie, faire faux bond aux invités de la noce qui festoyaient avec eux
chez Ti-Georges depuis des heures, mangeant et buvant, riant et dansant, et se
rendre le plus vite possible dans sa nouvelle demeure, la magnifique maison que
son mari avait construite pour elle et qu’il lui avait interdit de visiter avant
leur mariage.
Tard dans la soirée, ils purent enfin se sauver. Pendant tout le trajet, ils ne
se lâchèrent pas la main. De temps en temps, François-Xavier arrêtait le boghei
et embrassait langoureusement sa nouvelle épouse. Elle savait ce qui se
passerait pendant leur nuit de noces et elle le désirait ardemment. Elle était
juste un peu nerveuse. Avoir attendu toute la journée avant d’être enfin seuls
tous les deux n’avait fait qu’attiser leur désir. Anticiper cette nuit unique
était délicieusement enivrant. Enfin, son beau mari la souleva dans ses bras et
lui fit franchir le seuil de leur maison. Il lui demanda de fermer les yeux et,
quand elle les rouvrit, elle vit que son piano était là, devant elle, trônant
dans un immense salon aux doubles portes françaises.
— C’est le cadeau de ta marraine, lui expliqua-t-il, on l’a fait transporter
jusqu’icitte en cachette. Pour l’instant, c’est tout
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