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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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J’sais pas si vous êtes au
     courant, mais quand y boit, y devient euh… disons… ben, y perd un peu ses sens,
     si vous voyez ce que j’veux dire, pis j’m’inquiète pour mes neveux et nièces… Du
     temps d’Anna, a savait lui faire tenir la bouteille à distance, mais maintenant
     qu’est pus là…
    Léonie se détourna pour cacher son envie de pleurer.
    — Ouais, j’comprends, mademoiselle Coulombe. J’vous promets de veiller sur eux
     autres.
    — Merci beaucoup. Vous êtes un homme dépareillé, m’sieur Rousseau.
    Léonie déposa tendrement sa main gantée sur le bras d’Ernest. D’une légère
     pression, elle accentua le mot « dépareillé » qu’elle répéta doucement.
    — Bon, j’pense qu’il faut que j’y aille, dit Léonie en retirant sa main, le
     bateau attend juste après moé.
    — J’vous aide à débarquer, dit Ernest en s’empressant de sauter de la voiture
     et d’en faire le tour afin de cueillir le panier avec le bébé toujours endormi
     dedans, que Léonie lui tendait délicatement.
    — Toé, François-Xavier, commença Léonie avant de descendre à son tour, tu vas
     prendre ben soin de mon Ti-Georges, promis ? insista-t-elle en plongeant un
     regard sérieux dans celui du garçon.
    François-Xavier comprit et accepta la responsabilité. Il y a de ces enfants qui
     portent en eux la solennité d’une vieille âme, et François-Xavier était de
     ceux-là. Léonie remercia le petit garçon d’un baiser sur la joue et descendit
     prestement reprendre le panier des mains d’Ernest. Celui-ci s’éclaircit la gorge
     nouée d’émotion et dit d’un ton presque suppliant :
    — J’espère quand même vous revoir un jour, mademoiselle Léonie…
    — Ça m’étonnerait ben gros, se désola la jeune femme.
    Malgré elle, elle tendit la main vers la joue de l’homme, mais ses doigts se
     refermèrent sur le vide, s’interdisant cette marque d’affection.
    Léonie ferma un instant les yeux de souffrance, pleurant sur tout ce qui aurait
     pu être, qui ne serait jamais… Une larme s’échappa. Du bout des doigts, Ernest
     en suivit la trace sur la douce joue de la femme. Les grands yeux verts se
     rouvrirent sous la caresse de l’homme.
    — Un jour, Léonie… un jour… murmura Ernest d’un ton affirmatif.
    Léonie refusa cette idée de la tête puis, jetant un dernier coup d’œil autour
     d’elle, elle lança :
    — J’remettrai jamais les pieds icitte, jamais, je l’jure.
    Et avec un dernier au revoir de la tête, elle se dirigea d’un pas décidé vers
     le quai. Ernest la regarda parler avec les employés du traversier. Résigné, il
     débarqua la malle et remonta auprès de François-Xavier. Une dernière fois son
     regard croisa celui de Léonie, puis celle-ci tourna définitivement le dos à la
     Pointe-Taillon. Ernest fit faire demi-tour au cheval et se dirigea lentement
     vers sa ferme. Essayant de chasser ce pénible sentiment de perte qui lui
     écrasait le coeur, Ernest lança le cheval au trot et… tant pis pour les
     nids-de-poule !

    Léonie déposa le panier dans sa chambre et se dépêcha d’aérer la maison. Une
     désagréable odeur de renfermé flottait partout et la poussière avait eu
     amplement le temps de s’accumuler pendant son absence. Sans plus attendre, elle
     enfila un tablier et entreprit un bon gros ménage. Pendant deux jours, Léonie
     frotta sans répit, ne s’accordant le droit de s’arrêter que pour s’occuper des
     soins du bébé et pourdormir un peu. Étonnamment, Julianna ne
     pleurait presque plus et passait son temps à dormir. Les rideaux furent lavés et
     séchés, dehors, ainsi que toute la literie de la maison. Les tapis furent
     vigoureusement secoués et les planchers de lattes de bois, impeccablement
     frottés à la brosse. Enfin, épuisée, mais contente de la besogne accomplie et
     n’ayant plus rien à nettoyer, elle cessa de repousser l’échéance et s’assit
     résolument devant son petit secrétaire d’acajou. Elle sortit son plus beau
     papier à lettre, prit sa plume et fixa un moment la page vierge. Elle avait
     décidé d’écrire à John et de demander son aide, mais d’une façon pour le moins
     particulière que sa sœur aurait certainement désavouée. Léonie avait pesé
     longuement le pour et le contre. Ce n’était pas un coup de tête, c’était une
     question de survie. À force de jongler à sa nouvelle situation, Léonie n’avait
     vu aucune

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