La colère du lac
Anna se sentait si bien maintenant, toute légère… sans plus aucun mal.
Jamais, elle n’avait ressenti un tel bien-être. Une drôle de sensation… Elle
avait envie de suivre cette lumière, de s’asseoir sur un de ses rayons et de
remonter jusqu’à sa source. Elle avait la certitude qu’elle y trouverait le
paradis. Elle se retourna une dernière fois, juste un peu, à demi. Elle vit son
corps, inerte sur son lit, sa sœur sanglotant, hystérique, l’étrangère en train
de prier, sa nouvelle petite fille qui grognait en cherchant le sein échappé à
jamais. Un léger regret s’empara d’elle, elle pouvait revenir en arrière, elle
en avait le choix, elle le savait, mais la luminescence était si belle,
attirante, rassurante, beaucoup trop belle pour s’en détourner…
Les dernières volontés d’Anna furent respectées à l’exception près que Léonie
demanda à baptiser l’enfant du prénom de Julianna. Son beau-frère Alphonse n’y
fit pas objection. Taciturne, replié sur lui-même, il n’avait pas adressé la
parole à Léonie depuis son arrivée, en catastrophe, des chantiers. Il ne prenait
même pas la peine de répondre quand celle-ci lui parlait. Pourtant il leur
faudrait bien, un jour oul’autre, régler certains détails. Mais
les semaines passèrent sans que rien ne brise le silence d’Alphonse. On ne
pouvait pas dire que Julianna était un bébé facile. Elle pleurait beaucoup.
Léonie passait son temps à l’avoir dans ses bras et à la bercer. Pour la calmer,
pendant des heures, elle devait la promener dans ses bras. Dès qu’elle arrêtait
le mouvement, la petite recommençait à pleurer. Le lait, se disait Léonie, ça
doit être à cause du lait de vache qu’elle était obligée de lui donner.
Léonie manquait tellement de sommeil ! Debout dans la cuisine, tenant dans ses
bras Julianna, âgée maintenant d’un mois et demi, qui n’avait cessé de pleurer
depuis le matin, Léonie surveillait le lait en train de chauffer dans une
casserole. Assis à la table, son beau-frère semblait perdu dans ses pensées.
Ti-Georges, si triste depuis la mort de sa mère, se berçait dans la grande
chaise berçante, la chaise préférée d’Anna. L’enfant regardait, sans le voir, le
paysage ensoleillé de ce mois de mai.
— J’me demande ben à quoi ma pauvre Anna a ben pu penser en te confiant ce
bébé, marmonna soudain Alphonse.
Surprise, Léonie jeta un coup d’œil en coin à son beau-frère.
— T’es bonne à rien, reprit-il en haussant le ton. T’es même pas capable de
l’arrêter de pleurer ! Si cette Joséphine Mailloux jurait pas qu’a l’a été
témoin des dernières paroles de ma femme, j’dirais que t’as tout inventé cette
histoire pour te rendre intéressante.
— Franchement, Alphonse, voir si j’mentirais sur un sujet pareil ! s’indigna
Léonie. Et puis la p’tite pleure à cause du…
Mais elle ne put terminer sa phrase, l’allusion étant trop forte à ce qui
s’était passé entre eux.
— Si tu penses que j’va accepter que ma fille soit élevée par une catin !
protesta tout à coup Alphonse, en sacrant un violent coup de poing sur la
table.
Ti-Georges cessa de se bercer et alla se réfugier derrière sa
tante. Apeuré par la violence de son père, il se mit à pleurnicher. Le bébé
pleura de plus belle.
— Franchement, Alphonse, tu pourrais faire attention… Ti-Georges…
Alphonse se leva en titubant et se dirigea vers Léonie.
— Lui ? demanda-t-il en désignant son fils. Juste bon à se cacher derrière toé.
Y était toujours dans les jupes à sa mère avant. Pis arrête de brailler toé
aussi !!! ordonna-t-il, menaçant, au garçon. Anna a voulait pas d’autres
enfants… A voulait qu’y reste le bébé de la famille, dit Alphonse en empoignant
son fils par l’oreille. A disait que celui-là en valait trois à lui tu-seul pis
que ses frasques allaient la faire mourir…
— Lâche-le, Alphonse, tu lui fais mal ! s’interposa Léonie devant les cris
déchirants de Ti-Georges.
Elle déposa Julianna, toujours en pleurs, dans son berceau près du poêle à bois
et tenta de faire lâcher prise à l’ivrogne.
— T’as encore trop bu ! eut le courage de critiquer Léonie en réconfortant
Ti-Georges que son père avait libéré.
— Juste ce qu’y faut pour avoir le cran de parler à une traînée.
— Mais, que
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