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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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mère faisaient pitié à voir. Du plus grand au
     plus petit, tous semblaient si désemparés. Labelle grande
     famille qui voilà à peine quelques mois chantait et dansait au rythme du temps
     des Fêtes se retrouvait handicapée, démembrée, amputée de l’élément familial le
     plus important, celui qui aplanissait les problèmes, celui qui les tenait
     réunis : leur mère. Seule Léonie aurait pu colmater la brèche créée par le décès
     de madame Gagné, et Ernest ne comprenait pas trop pourquoi celle-ci abandonnait
     sa famille au lieu de rester… Enfin, même s’il était parrain de la petite
     Julianna, rien ne lui octroyait le droit de poser des questions aussi
     personnelles. Il savait tenir sa place. Alors, respectueusement, il laissa à
     Léonie le temps de dire au revoir à ses neveux et nièces puis sans un mot, ils
     partirent en direction de l’embarcadère. Seul François-Xavier les accompagnait.
     Son fils adoptif semblait lui aussi ressentir la grande tristesse générale qui
     régnait et il avait attendu sagement, dans la carriole, qu’ils soient prêts à
     repartir. Il n’était même pas descendu retrouver son ami Ti-Georges. Celui-ci,
     accroché à la main de sa grande sœur Marie-Ange, avait curieusement refusé les
     adieux de sa tante… En y repensant, Ernest voyait bien que quelque chose ne
     tournait pas rond. Mademoiselle Coulombe avait une gravité au fond de ses beaux
     yeux verts qui laissait présager le pire… Oserait-il en demander la raison ?
     Mais non, il ne pouvait se permettre d’être trop familier avec la belle-sœur
     d’Alphonse, c’eut été vraiment inconvenant et la jeune femme pourrait déceler le
     trouble qu’elle suscitait chez lui… Ernest soupira et se concentra à faire aller
     son cheval au pas, attentif aux nids-de-poule de ce mois de mai boueux qui
     cassaient une roue de boghei dans le temps de le dire et qui auraient pu blesser
     le précieux chargement qu’il transportait. Il n’aurait su dire à quoi il était
     le plus sensible, à la minuscule Julianna dans son panier d’osier, ne pleurant
     pas pour une des rares fois, ou à la présence de Léonie qui tenait solidement le
     couffin sur ses genoux. Mais il n’avait pas le droit de se permettre de telles
     pensées. C’était péché que d’arrêter son regard sur les belles
     courbes féminines que soulignait le châle de laine entrecroisé sur la poitrine.
     Il avait une épouse qui souffrait, seule, à Québec. Il ne pouvait penser à une
     autre femme malgré le doux parfum sucré que dégageait mademoiselle Coulombe et
     qui ne cessait de le narguer. Mais peut-on éviter à l’orignal de se blesser les
     bois contre les arbres par mal d’amour ? Ernest soupira de nouveau et n’osa plus
     regarder sa passagère de tout le reste du trajet. Mademoiselle Coulombe y aurait
     certainement vu le désir qui y brillait. François-Xavier, lui, était très
     impressionné par la petite créature couchée dans le panier. Elle dormait, mais
     son visage ne cessait de faire différentes mimiques. On aurait dit qu’elle
     vivait toutes sortes d’aventures dans un monde rien qu’à elle. François-Xavier
     aurait aimé la tenir dans ses bras, mais c’était trop dangereux. Il se contenta
     de lui tenir délicatement une petite main, et il ne la lâcha plus jusqu’à leur
     arrivée. Vu qu’elle était la filleule de son père, il la considérait un peu
     comme sa petite sœur. Rendu à destination, c’est avec regret qu’il dut
     abandonner sa menotte.
    — J’va vous monter votre malle sur le bateau, offrit Ernest.
    — Pas besoin, j’va payer l’homme de la traverse pour le faire. Vous avez déjà
     été assez bon de même pour moé, le remercia Léonie.
    — C’est rien que normal, c’est mon devoir de parrain après tout ! Vous allez me
     donner des nouvelles de ma p’tite Julianna ?
    — Comme promis, régulièrement.
    Elle hésita avant d’ajouter :
    — Vous êtes ami avec mon beau-frère, je crois…
    — C’est mon plus proche voisin, répondit prudemment Ernest, qui ne voyait pas
     trop où voulait en venir sa passagère.
    — J’peux-tu vous demander quelque chose de… disons personnel ?
    — Tout ce que vous voudrez, mademoiselle Coulombe.
    — Je reviendrai jamais par icitte, ce serait trop long de vousexpliquer pourquoi, commença-t-elle, embarrassée. Mais voudriez-vous essayer
     de surveiller Alphonse pour qu’y boive moins ?

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