La colère du lac
payerez, lui promit
François-Xavier.
— Tenez, ajouta-t-il en lui tendant la branche de sapin qu’il n’avait pas
lâchée pendant sa course. Servez-vous en pour vous éventer, pour éloigner les
mouches… vous savez, comme la queue d’une vache ? précisa-t-il
perfidement.
— Hum… un vrai gentleman, merci beaucoup, dit Julianna sans relever
l’allusion.
— Mais de rien, c’était presque un plaisir… répondit
François-Xavier, sarcastique.
C’était un drôle de cortège que virent arriver le boghei et ses deux occupants,
qui les attendaient, plus loin, inquiets de leur retard.
— Mon doux Seigneur ! s’exclama Léonie devant l’allure de sa filleule.
Elle avait du sang croûté dans le cou, les cheveux poisseux, la robe déchirée
et on aurait juré qu’elle avait pleuré.
— Voyons, François-Xavier, s’écria Ti-Georges, t’avais pas de chasse-mouches
sur toé ?
— Ben oui, mais la princesse en voulait pas, répondit François encore fâché de
l’attitude puérile de sa passagère.
— Est-ce que ça va, Julianna ? s’informa sa marraine.
— Son altesse pourrait pas aller mieux, répondit celle-ci en s’éventant à
grands coups de branche de sapin sur un ton hautain. C’est mon cocher qui a eu
besoin de se dégourdir les jambes pis qui nous a retardés. Vraiment, Ti-Georges,
continua-t-elle à l’adresse de son frère qui ne comprenait plus rien à ce qui se
passait, une personne de mon rang se serait attendue à meilleur accueil. C’eut
été la moindre des choses que de me faire voyager dans une automobile, à moins
que ça existe pas encore icitte… évidemment.
— Cocher, vous connaissez le chemin ? reprit-elle en s’adressant cette fois à
François-Xavier en lui décochant un clin d’œil.
Ce petit geste effaça toute trace de colère chez le jeune homme qui lui sourit
en retour.
— Alors, allez !
Et, en faisant signe à François-Xavier qui rigolait comme un fou devant la
stupeur de Ti-Georges, ils dépassèrent le boghei, laissant Léonie et son neveu
abasourdis.
— J’vous le dis son père, c’était la première fois que j’voyais
Ti-Georges se faire clouer le bec !
Ernest était assis dans sa chaise berçante dehors sur sa grande galerie à fumer
sa pipe et à boucaner les mouches, quand son fils était arrivé, tout énervé,
voulant à tout prix lui raconter, il ne savait trop quelle anecdote, mais il lui
semblait avoir compris qu’il s’agissait d’une histoire de bébittes et de
princesse.
— Allons, mon grand, calme-toé un peu, j’comprends rien de c’que tu radotes !
dit Ernest en faisant taire son fils.
« Baptême que mon François est excité » se dit-il en examinant son garçon à
travers la fumée de sa pipe. Y a certainement anguille sous roche.
— Prends donc le temps de dételer pis de venir manger un morceau ! T’as même
pas soupé ! lui fit remarquer Ernest tout en continuant à se bercer
régulièrement. C’est pas bon de s’épivarder comme ça le ventre vide !
ajouta-t-il, narquois.
François-Xavier prit une grande respiration, fit ce que son père lui avait dit
et revint, un peu plus tard, en mâchant un quignon de pain et un morceau de
fromage. Cette fois, il narra avec soin les événements de la journée.
— Si vous lui aviez vu la face ! Longue de même ! fit-il en mimant des bras la
longueur supposée.
— Ce que j’entends surtout dans cette histoire, dit Ernest, c’est que ma
filleule te travaille le corps en baptême. Si tu t’voyais la face à toé quand
t’en parles.
— Oh !, à vous j’peux ben le dire ! C’est la plus belle fille que j’aie jamais
vue ! avoua François-Xavier.
— Tant mieux, tant mieux, j’commençais à désespérer d’avoir un jour une
descendance.
— Ben voyons, son père, j ‘viens juste de la rencontrer !
rougit le jeune homme.
— On en a déjà vu des plus vites que ça.
— Oh, vous là ! Arrêtez donc de m’chercher !
François-Xavier hésita un peu avant de demander :
— Pensez-vous que ce serait convenable, vu les circonstances, que j’aille lui
faire un brin d’cour ? Parce que j’sais pas trop combien de temps a va être en
visite… Mademoiselle Julianna arrêtait pas de dire qu’a resterait pas tout l’été
icitte certain ! Montréal, c’est un peu loin pour des fréquentations, vous
pensez pas ?
Ernest
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