La colère du lac
puis, joyeusement, se recula pour l’admirer.
— Julianna, voici ton grand frère Georges, annonça-t-elle en le présentant à sa
filleule.
Émue, la jeune fille ne trouva pas quoi dire. Ti-Georges régla le problème en
éclatant de rire à son tour devant l’allure de sa petite sœur.
— Non, mais quoi, s’indigna Julianna en retrouvant la voix,
vous avez jamais vu quelqu’un tomber à l’eau ?
— Oh oui, mais jamais en robe de mariée ! s’esclaffa Ti-Georges en riant de
plus belle.
— C’est pas une robe de mariée ! se récria sa sœur. Tu sauras, mon cher grand
frère, que c’est le dernier cri à Montréal ! se défendit-elle avec
snobisme.
— P’t-être ben, mais icitte, t’as l’air folle en bateau ! Hein, mon
François-Xavier ? ajouta-t-il à l’adresse de son ami qui était resté
respectueusement un peu à l’écart du groupe.
Léonie et Julianna s’aperçurent de la présence de l’autre homme en même
temps.
— Pas le p’tit François-Xavier que j’ai connu haut comme ça ? François-Xavier
Rousseau ? dit Léonie, éberluée.
Si ce n’avait été de la chevelure rousse, Léonie aurait eu peine à reconnaître
le fils de monsieur Rousseau. Le petit garçon s’était transformé en un grand
gaillard.
— Oui, matante, lui-même en personne, opina Ti-Georges.
— Bonjour mademoiselle Coulombe, salua poliment François-Xavier.
— J’lui ai demandé de m’accompagner avec la wagonnette pour les malles, reprit
Georges. Comme vous aviez averti que vous auriez ben des bagages, j’ai pas pris
de chance.
— T’as ben fait, mon garçon, surtout que j’ai eu beau dire, mais en plus des
cadeaux que j’apporte, ta sœur a emporté du linge pour toute une année au
moins !
— Du moment qu’elle a au moins une robe de rechange, hein, mon
François-Xavier ? s’esclaffa de nouveau Ti-Georges en donnant un coup de coude à
son meilleur ami.
— Arrête de l’agacer, la défendit François-Xavier, moé, j’trouveque vous avez l’air d’une princesse, mademoiselle, ajouta-t-il à l’adresse de
Julianna tout en la saluant avec déférence.
— Ah ben bateau ! On aura tout entendu ! Là t’exagères François-Xavier ! Une
princesse ! Une princesse des bécosses, oui, on n’a jamais vu une fille avec des
cheveux courts !
— Ça commence à faire, Ti-Georges, l’avertit Léonie en retrouvant son autorité
d’antan et ne voulant pas que sa nièce perde toute contenance. Allez,
emmène-nous chez ton père. Pis en chemin tu vas me raconter toutes les dernières
nouvelles !
— D’accord, matante. Venez, j’vous embarque dans mon boghei. François-Xavier,
tu t’occupes d’emmener la princesse dans ton carrosse ?
— Oui, oui, s’empressa d’accepter son ami. Aide-moé à mettre les malles dans la
wagonne pis on te suit. Venez, mademoiselle Julianna, j’va vous aider à grimper,
dit François-Xavier en désignant l’attelage.
— Non merci, monsieur Rousseau, le rabroua la jeune fille, offusquée. À cause
de vous, mon frère arrêtera pas de me traiter de princesse. C’est de votre faute
si je passe pour une vraie idiote !
Et, sans plus un mot, elle alla prendre place dans la wagonne, ajustant en
chemin son chapeau déformé sur sa tête.
« Quelle drôle de fille, pensa François-Xavier en la suivant du regard. Est si
belle… est si… si… est pour moé. »
Julianna était peut-être tombée à l’eau, mais François-Xavier, lui, venait de
tomber éperdument amoureux.
— Une chance qu’on a un beau mois de juin, le soleil aura vite fait de vous
sécher en chemin, dit gentiment François-Xavier en prenant place à côté de
Julianna sur le banc inconfortable de la grosse charrette.
— Tout le monde est paré ? s’informa Ti-Georges. Bateau que t’as un joli
chapeau, Julianna ! ajouta-t-il en faisant mine d’être sérieux.
— Euh… merci, Ti-Georges, répondit sa sœur,
décontenancée.
— Si jamais t’en veux pus, tu pourras toujours l’offrir au curé, ça pourra
servir de clocher pour l’église qu’y veut faire construire ! poursuivit-il en
s’esclaffant.
— Oh ! Mon… mon… mon verrat !
De rage, elle ôta son chapeau et le lui lança en pleine figure.
— Tiens, j’espère que tu vas en entendre, des cloches ! cria-t-elle
furieuse.
— Mais, c’est que la p’tite sœur a du caractère,
Weitere Kostenlose Bücher