La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution
constitutionnels ; les paroissiens refusèrent de les recevoir. Il y eut lutte et bataille en plus d’un endroit ; les paysans chassèrent les jureurs ; plusieurs prises de possession de cure furent ensanglantées.
À Douarnenez, le 23 décembre 1792, les gardes nationaux de Quimper vinrent établir le prêtre Yvenat ; ce n’était point un méchant homme, loin de là ; avant cette malheureuse affaire du serment, il avait toujours rempli dignement son sacerdoce ; c’était certainement un homme de bien, à qui sa conscience ne défendait pas d’adhérer à une Constitution que Louis XVI avait signée, après tout, et, quoique assermenté, il eût certainement rempli dignement son ministère.
Mais c’était un jureur ; les paysans n’en voulurent point ; ils ne raisonnaient pas à cet égard ; c’était affaire de sentiment ; aussi, dès le début, les ennuis commencèrent pour le prêtre Yvenat ; il ne trouva personne pour le servir au presbytère ; les cordes de ses cloches furent coupées ; il ne pouvait faire sonner les offices ; aucun enfant ne voulut répondre la messe, aucun parent ne l’eût permis ; on préférait s’en passer ; enfin, le vin lui manquait pour le sacrifice ; pas un aubergiste n’eût osé lui en vendre. Yvenat eut beau faire, patienter, il n’obtint rien ; on ne lui parlait pas, puis quand on vint à lui parler, ce fut pour l’injurier ; des injures aux mauvais traitements il n’y avait qu’un pas, il fut franchi ; puis la superstition s’en mêla ; on vit dans ce jureur le mauvais génie, le maudit ; on l’accusa des tempêtes ; on mit sur son compte les barques chavirées ; on s’ameuta, et enfin la colère publique prit de telles proportions que le prêtre dut abandonner le presbytère ; il se réfugia dans l’île Tristan où les pêcheurs le laissèrent mourant de faim ; il y avait plus d’un mois qu’il habitait ce roc isolé, vivant de mauvais légumes, pêchant au besoin ; la charité ne semblait pas faite pour lui.
Mais la patience des paysans devait avoir un terme, et leur colère revint avec les calamités qui, chaque jour, fondaient sur eux. Les Bretons échappés aux balles républicaines pendant la guerre de Vendée rentraient dans leurs foyers, épuisés, blessés, se traînant ; la misère s’accroissait ; la famine menaçait le pays. Tant de maux ne pouvaient être imputés qu’au maudit, dans une contrée superstitieuse. Après avoir laissé cet infortuné végéter sur un roc nu, la haine se retourna vers lui ; jusqu’où elle irait, on ne pouvait le prévoir de la part de ces rudes paysans. Enfin le jour de l’explosion arriva et fut annoncé par ces cris que Kernan venait d’entendre.
Henry de Trégolan avait raconté tous les détails de la vie d’Yvenat à ses compagnons. Et quand Kernan lui apprit ce qu’il avait vu par la porte entrouverte, il comprit que ces menaces s’adressaient au jureur, et qu’on en voulait à sa vie.
Il n’entrait pas dans la pensée de gens braves comme le comte et ses amis, qu’un homme seul, quelles que fussent ses fautes, pût être abandonné aux fureurs de toute une population ameutée, et d’un commun accord ils se levèrent.
– Mon père, s’écria Marie, où allez-vous ?
– Empêcher un crime ! répondit le comte.
– Restez, notre maître, dit Kernan ; M. de Trégolan et moi, nous sommes là, ma nièce Marie ne peut demeurer seule. Venez, monsieur Henry, venez !
– Je vous suis, répondit le jeune homme, qui serra précipitamment la main du comte.
Puis Kernan et lui s’élancèrent au-dehors, pendant que le bonhomme Locmaillé secouait la tête d’un air de désapprobation.
Henry et Kernan se précipitèrent vers la plage, du côté où les cris plus distincts arrivaient jusqu’à eux. Là les gens de Douarnenez, mêlés à ceux de Pont-Croix, de Poullan, de Crozon, marchaient en pleine tempête, accompagnés de femmes, d’enfants, et secouant leurs torches de résine enflammée ; ils traversèrent en bateau la rivière du Guet, et, prenant par la côte opposée, ils arrivèrent devant l’île Tristan.
Le Breton et le jeune homme avaient si bien manœuvré qu’ils se trouvaient au premier rang de la foule. Songer à la retenir eût été une folie, il valait mieux tenter de lui arracher sa victime.
À ce moment, les plus irrités des pêcheurs se jetèrent dans des barques au nombre d’une vingtaine, et ramèrent vers l’île.
La foule,
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