La cote 512

habitants, de nombreuses maisons avaient été bombardées et s’étaient écroulées, d’autres présentaient un toit éventré ou un pignon lézardé.
    — Vous cantonnez dans les habitations, demain, nous formerons les compagnies. Rompez !
    La troupe se répartit au petit bonheur dans les maisons dévastées, cherchant les moins abîmées, celles qui possédaient encore un bout de toit solide ou même quelques pièces d’habitation en bon état. Célestin, Béraud, Flachon, Peuch et Fontaine avaient repéré une maisonnette entourée d’un petit jardin, et qui semblait avoir résisté assez bien aux bombardements. Comme Célestin poussait la porte du jardinet, un curieux miaulement leur vrilla les oreilles. Les cinq hommes s’immobilisèrent, sidérés.
    T’as entendu, le parigot ? C’était quoi, ça ?
    Une balle perdue. Allez, on traîne pas.
    Ils se précipitèrent dans la maison dont la porte avait déjà été enfoncée. Ils eurent vite fait l’inventaire des pièces qui avaient récemment servi de cantonnement. Un soldat avait gravé dans le plâtre du mur, au-dessus d’une cheminée encombrée de gravats : À Berlin ! Le graffiti avait immédiatement attiré l’œil de Flachon.
    — À Berlin ! Il est rigolo, lui ! Où est-ce qu’il est, maintenant ? À Berlin ?
    — De toutes façons, on ne doit pas faire de dégradation, dit Peuch, qui pensait à sa propre ferme laissée à la garde de sa femme et de sa mère.
    — Allez, les gars, faut s’installer pour la nuit, intervint Célestin, je vais regarder s’il n’y a pas une cave, on serait plus à l’abri.
    — J’y vais, monsieur, le coupa Béraud qui se précipita vers le fond d’un couloir où l’on devinait une petite porte.
    Flachon dévisagea Célestin avec perplexité.
    — Et pourquoi qu’il t’appelle « monsieur », le petit ?
    — Parce que je l’ai déjà flanqué en taule.
    — T’es un poulet ?
    — C’est embêtant ?
    — J’ai pas dit ça : y’a pas de sot métier.
    — Et qu’est-ce qu’il avait fait, Béraud ? s’enquit Fontaine.
    — Pickpocket.
    — Les gars, faites gaffe à vos larfeuilles ! plaisanta Flachon.
    Béraud, qui était revenu, s’immobilisa au seuil de la pièce. Il lança un regard de haine à Célestin qui se contenta de hausser les épaules.
    — Ils m’ont demandé pourquoi tu m’appelais « monsieur ».
    Béraud, ulcéré, s’avança.
    — Ouais, c’est vrai, j’ai fait du trou, et je ne suis pas un gars honnête, mais rassurez-vous, vous n’êtes pas des bons clients, ça se voit sur vos tronches : vous n’avez pas un rond, je ne vais pas m’amuser à vous faire les poches, ça vaut même pas le coup.
    Il alla récupérer son barda dans un coin.
    — Moi, y’a que les riches qui m’intéressent, et des rupins, y’en a pas des masses par ici. Maintenant, si vous n’avez pas les jetons de dormir dans la même pièce que moi, y’a de la paille dans la cave, et même un vieux matelas.
    Il traversa la pièce dans le silence, les autres ne savaient plus quoi dire. Célestin, amusé, se mit à rigoler.
    — Ça va, Germain, on te suit.
    — Vous aviez dit que vous ne m’appelleriez plus Germain.
    — C’est vrai. On te suit, Béraud.
    Passé la petite porte, on descendait un escalier de bois qui donnait sur une cave au plafond bas, au sol de terre battue. Tout un bric-à-brac l’encombrait, vieux casiers à bouteilles en bois, bicyclette toute rouillée, bocaux divers ébréchés pour la plupart, piles de journaux mangés par les souris. Béraud avait déplié un matelas éventré, sa trouvaille. Pour le reste, il fallut se débrouiller, les cinq hommes se casèrent comme ils purent. Fontaine remonta pour essayer de dénicher le fourrier et la roulante, histoire de ne pas dormir le ventre vide. Il rapporta un bidon de soupe, du pain et quelques litres de vin rouge. Les hommes s’endormirent ainsi, au creux de la maison, tenaillés par l’angoisse de la guerre toute proche. Même Flachon n’avait plus le cœur à plaisanter, de voir cette maison abandonnée et à moitié démolie lui avait sapé le moral. En pleine nuit, ils s’éveillèrent en sursaut : le fracas de détonations toutes proches secouait les murs de la maison.
    — Les Boches, ils bombardent ! murmura Fontaine, mal réveillé.
    — Je vais jeter un coup d’œil, bougez pas, ordonna Célestin.
    Il se faufila hors de la cave. Des éclairs, dehors, l’intriguèrent. Se