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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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bégayant et le sifflement des balles perdues, le petit matin était encore paisible, silencieux. Au sortir d’une courbe, la petite troupe dut se coller à la paroi de glaise du boyau pour laisser passer une escouade qui partait en repos. Les soldats, boueux, gorgés de fatigue et de froid, s’avançaient d’un pas lourd à la file indienne en regardant droit devant eux, les yeux encore hallucinés des combats. L’un d’eux, blessé, soutenu tant bien que mal par un de ses compagnons, gardait serré contre lui son bras en écharpe. Ils disparurent comme des spectres, sans laisser aucune trace dans l’eau boueuse du boyau.
    — La relève est commencée, chuchota Garin. D’habitude, on la fait de nuit, mais là, comme il y a du brouillard, on vous a laissés dormir.
    — Trop aimable ! ironisa Flachon.
    — À partir de maintenant, plus un mot, et pas de cigarette.
    — Et quand est-ce qu’on aurait le temps de s’en rouler une ?
    Ils reprirent leur marche difficile. Ils arrivèrent bientôt en deuxième ligne, dans une tranchée mieux aménagée, avec quelques étais de bois sur les parois et plusieurs abris creusés dans le sol, dans lesquels on pénétrait par de petites ouvertures, souvent fermés par un bout de tissu. Le fond de la tranchée était lui aussi couvert de rondins, mais les cinq nouveaux, mal habitués à cette disposition, n’arrêtaient pas de trébucher en jurant, malgré les ordres brefs de Garin les rappelant au silence. Il s’arrêta soudain et se tourna vers le lieutenant.
    — On arrive.
    Mérange acquiesça et fit un signe aux autres.
    — Baïonnette au canon !
    Les quatre soldats, impressionnés, fixèrent au bout de leurs fusils les lames effilées.
    — On va attaquer à la baïonnette ? interrogea Béraud, mort de trouille.
    — Mais non, le rassura Garin : c’est toujours comme ça quand on arrive en première ligne. Simple précaution.
    Une précaution qui, visiblement, ne rassurait pas le pauvre garçon. Enfin ils arrivèrent. Célestin fut frappé par la précarité des installations. La tranchée n’était qu’une fosse creusée à la hâte, sans construction, avec seulement, à intervalles réguliers, des trous d’homme, petits refuges individuels destinés à protéger contre les bombardements. À part ça, aucun abri, aucune cagna, seuls quelques sacs de sable en surplomb formaient comme une ligne crénelée qui protégeait contre les tirs rasant des fusils ou des mitrailleuses. Une Hotchkiss avait été installée dans un creux, un peu en arrière. Quelques pelles encore chargées de boue avaient été laissées, posées contre les parois. Mérange ordonna immédiatement de dégager la tranchée aux endroits où l’humidité avait fait s’ébouler les talus. Les premières heures passèrent vite, avec une courte pause de temps en temps, pour fumer une cigarette ou boire un coup. Le brouillard se leva brusquement, et un rayon de soleil inattendu éclaira le champ de bataille, parsemé de débris, d’éclats de métal, de morceaux de bois, de bouts d’uniformes lacérés… Célestin jeta prudemment un coup d’œil et son attention fut attirée par un tournoiement de corbeaux au-dessus de masses grises, informes.
    — Tu regardes les cadavres ? lui demanda Garin. Dès qu’on avancera, on pourra les enterrer. Mais pour le moment, ne va pas pointer ton nez là-bas !
    Une estafette déboula, hors d’haleine, et tendit un pli de l’état-major au lieutenant. La section de
    Mérange, forte d’une vingtaine d’hommes, devait tenir un secteur long de près de deux cents mètres. Le jeune officier répartit les soldats du mieux qu’il put.
    — Il faut tenir, les gars : les Boches ne doivent pas enfoncer nos lignes, à aucun endroit. Nous sommes tous les maillons d’une chaîne qui ne doit pas céder.
    Une balle s’enfonça dans un des rondins qui protégeait la mitrailleuse. Tous enfoncèrent par réflexe la tête dans les épaules. La mort toute proche, à portée de la main, juste au-dessus d’eux, effrayante et tentante comme le vide… Par endroits, dans la tranchée, une banquette de tir avait été aménagée. Les soldats en faction se postaient dessus, fusils braqués sur l’ennemi dans l’ouverture réduite entre deux sacs de sable. L’après-midi ne s’était pas terminé que deux hommes étaient tombés, une balle dans la tête. Ils s’étaient écroulés dans la boue, tués sur le coup. C’étaient les premiers morts que

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