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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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glissant le long d’un mur, il surprit un étrange ballet : autour d’un canon de 75, dans la lumière grise d’une lune voilée, quelques artilleurs enfournaient leurs obus et déclenchaient à intervalles réguliers le tir de leur engin. Les nuages de fumée qui les entouraient, comme des nappes de brume vite chassées par le vent glacial, leur donnait un aspect irréel, on aurait dit des démons de l’enfer occupés à quelque noire facétie destinée à distraire leur maudite éternité. Les soldats déclenchèrent une nouvelle explosion puis attelèrent le canon et disparurent à sa suite. Ils s’étaient à peine évanouis dans la pénombre que sifflèrent dans le ciel les fusants de la riposte allemande. Célestin se jeta à terre, se collant le plus possible à la cloison qui tremblait. Des shrapnels rebondirent un peu partout sur les toits des maisons, brisant dans leurs courses quelques tuiles ou les rares fenêtres encore intactes. La salve fut de courte durée. Le calme revenu, Célestin regagna la cave où les autres l’attendaient, anxieux.
    — C’était les nôtres, on a mis un canon de 75 en batterie sur la place. Après, les Boches ont riposté, mais ça y est, c’est fini, tout le monde est reparti.
    — Alors on peut de nouveau roupaner, conclut Flachon en s’enroulant dans sa capote.
    Béraud, lui, encore effrayé, tenta de se rouler une cigarette, mais ses mains tremblaient trop. Il balança le papier et le tabac gris. Célestin lui tendit une cigarette. Ils fumèrent tous les deux sans un mot. Et puis Béraud lui chuchota :
    — Vous savez, monsieur, quand je rentrerai de tout ça, je me trouverai un métier.
    Célestin hocha la tête et, d’un geste, lui conseilla de se rendormir. Mais le petit voyou resta les yeux grand ouverts jusqu’à ce qu’une vague clarté échappée par un soupirail leur indiquât que la nuit était finie.
    Au petit matin, on forma les compagnies. Le capitaine-adjudant-major chargé des affectations était un gros débonnaire qui laissa les soldats se regrouper par affinités. C’est ainsi que Célestin, Béraud, Flachon, Fontaine et Peuch se retrouvèrent avec le lieutenant de Mérange versés à la 22 e compagnie, qu’ils devaient rejoindre au plus vite en première ligne. Bien avant qu’il fît grand jour, dans la lueur blafarde de l’aube, un guide vint les chercher. Il arrivait des tranchées, il était couvert de boue, de la pointe des godillots jusqu’à la visière du képi, il en avait plein le visage, les mains, la moustache… Il s’appelait André Garin, il venait de Chartres. Il salua le lieutenant, regarda les nouveaux avec un mélange de tristesse et d’ironie et dicta ses consignes :
    — Suivez-moi, et faites tout ce que je fais : si je me baisse, baissez-vous, si je cours, courez, si je rampe, rampez, c’est compris ? On a près de deux kilomètres à faire avant d’arriver à la tranchée et les Boches mitraillent sans arrêt.
    Un épais brouillard enveloppait le paysage. Quand, par endroits, il se levait, Célestin apercevait un paysage lunaire fait de levées de terre, de buttes en partie écroulées, de restes de constructions, de morceaux d’arbres… C’est dans cette campagne nue qui, tout autant que le claquement des mitrailleuses, signifiait la guerre, qu’ils s’engagèrent. De temps en temps, lorsqu’ils devaient franchir un espace découvert, ils étaient obligés de ramper et entendaient alors les balles siffler au-dessus d’eux. À un moment, alors qu’ils s’étaient jetés à terre tout près l’un de l’autre, Célestin et Mérange échangèrent un regard. Mérange semblait tranquille, juste un peu sombre et cela réconforta Célestin de le sentir calme et presque détaché : il avait la trempe d’un chef. Après une voie ferrée dont les rails tordus dessinaient d’inquiétants hiéroglyphes, s’ouvraient les premiers boyaux. On y descendait par quelques marches rudimentaires à moitié défaites, il fallait s’avancer courbé car les boyaux n’étaient pas suffisamment profonds. Très vite, le réseau devenait dense, il y avait des croisements, des bifurcations, des culs-de-sac, et toujours au fond un mince filet d’eau croupie qui se transformait ici et là en larges flaques où les chaussures disparaissaient presque toutes entières.
    — On approche du front, murmura Fontaine avec gravité.
    Pourtant, mis à part le claquement énervant de deux mitrailleuses qui dialoguaient en

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