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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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voyait Béraud, qui n’avait assisté jusqu’ici qu’à des bagarres de rue qui se terminaient au pire par un nez cassé ou par un type assommé, couché dans le caniveau. Il vomit. Célestin lui passa un coup de gnôle avant d’aider Flachon à transporter les cadavres derrière un repli de terrain où ils les enterrèrent.
    — Les pauvres gars ! C’est à se demander pourquoi ils sont morts ! s’indigna Flachon en jetant des pelletées de terre sur les corps. Ils n’ont même pas vu qui leur a tiré dessus.
    — Et puis alors ?
    Flachon resta silencieux un moment, comme s’il digérait tout ce qu’il venait de découvrir depuis deux jours.
    — Dis-moi, Célestin, elle va peut-être pas être si courte, c’te guerre ?
    — Il n’y a que ceux qui s’en sortiront qui pourront le savoir.
    Flachon hocha la tête, frappé par la justesse de la remarque. Lorsqu’ils retournèrent à la tranchée par un étroit boyau, ils tombèrent sur le fourrier chargé de bidons et de sacs de pain. Il y avait aussi une grosse marmite de haricots au milieu desquels nageaient quelques bouts de viande grasse. Les hommes s’installèrent comme ils purent sur la banquette de tir qui leur faisait comme un banc de fortune et sur laquelle, la nuit, ils s’allongeraient pour échapper un peu à la boue, et se partagèrent le pauvre repas.
    — Ce qui m’ennuie le plus, dit Fontaine, c’est que tout est froid.
    — Tu t’y feras, dit Garin, en sauçant sa gamelle pour attraper les dernières miettes de nourriture.
    Ils n’avaient pas fini leur café que le bombardement commença. Ils s’abritèrent, collés aux parois. Célestin avait pu se réfugier dans un de ces renfoncements de protection creusés par ceux qui les avaient précédés. Le bruit des obus était terrifiant. Garin leur gueulait de temps en temps le calibre de ce qui leur tombait dessus et qu’il reconnaissait au sifflement, au vrombissement, à la vibration mortelle. Des mottes de terre soulevée par les explosions retombaient sur les hommes, des shrapnels coupaient l’air, certains en bout de course venaient dégringoler contre les étais de la tranchée. Célestin vit le fourrier qui rassemblait ses bidons. Il allait faire un pas pour l’aider quand un éclair l’aveugla. Il se sentit projeté en arrière, le souffle coupé. Un instant, il se crut touché. Il se passa la main sur le visage, il la retira rouge de sang. Béraud se mit à hurler. Célestin regarda : une torpille avait coupé en deux le fourrier, laissant d’un côté ses deux jambes, de l’autre le tronc d’où s’échappait comme un geyser de sang.
    — Salauds ! hurla Béraud. Salauds de Boches !
    Il semblait prêt à se jeter hors de la tranchée. Célestin le ceintura et le colla contre la paroi. Les deux hommes attendirent, serrés l’un contre l’autre, que le bombardement prît fin. Quand Célestin relâcha Béraud, le jeune homme sanglotait.

Chapitre 4
L’ASSAUT
    La nuit vint et avec elle une petite pluie fine et vicieuse qui tombait de travers, entrait dans les cols et les trempait jusqu’aux os. Garin et Flachon avaient récupéré une capote ensanglantée sur le cadavre d’un soldat allemand et l’avaient tendue sur quatre rondins au-dessus de la tranchée, afin de s’abriter un peu. Mais au fur et à mesure des heures, l’épais vêtement prit l’humidité en laissant tomber des gouttes d’eau rougie de sang. Des fusées éclairantes parties de divers points du front faisaient apparaître des fantasmagories lumineuses, parfois colorées, dans lesquelles se détachaient les fils de fer barbelé et les créneaux des tranchées ennemies. Mérange avait organisé les tours de garde. Célestin se retrouva en faction avec Fontaine.
    — Qu’est-ce qu’on fout là, nom de dieu ? Qu’est-ce qu’on fout là ? Quand je pense que c’est mon père qui va devoir finir les moissons, lui qui peut à peine se tenir debout !
    Célestin était toujours embarrassé lorsqu’il entendait ce genre de propos – qu’avait-il laissé derrière lui ? Une chambre de bonne, un bureau de flic, une sœur qui n’avait plus besoin de lui et quelques enquêtes que la guerre avait rendues caduques. Pour lui comme sans doute pour les autres, entre la guerre et le maintien de l’ordre, il existait une sorte de continuité, de logique, un esprit de sacrifice. Ce n’était pourtant pas cela qui l’avait fait partir, mais plutôt un sens des priorités. Il trouvait

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