Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
Vom Netzwerk:
absurde d’arrêter des voleurs ou des meurtriers dans un pays menacé d’invasion. Pourtant, comme les paysans qui l’entouraient et qu’il avait vus prendre à pleine main la terre des tranchées pour la faire couler entre leurs doigts, il retrouvait souvent ses réflexes de policier, observant, enregistrant les habitudes de chacun, analysant les comportements, les réflexes, les caractères. La pluie cessa. Il se retint d’allumer une cigarette. Au matin, ils furent remplacés par deux sections du 308 e , et se replièrent en deuxième ligne. Là, toutes proportions gardées, c’était le confort. Le sol était casse-gueule, mais au moins les rondins protégeaient-ils de la boue. Et les cagnas, bien étayées, constituaient des abris efficaces contre les bombardements. À condition, évidemment, de ne pas s’y faire enterrer tout vif. Le ravitaillement arrivait encore tiède, ce qui avait le don de rendre à Flachon toute sa bonne humeur.
    — Je parie que tu manges mieux ici que chez toi, lui lança Fontaine.
    Les cinq hommes s’étaient assis en rond devant l’entrée d’une cagna sur le linteau de laquelle un poilu facétieux avait fixé la pancarte : « appartement tout confort, eau et gaz à tous les étages. » En quelques jours, ils s’étaient endurcis, adaptés au rythme des tranchées où le sommeil s’arrachait par bribes, entre les salves d’obus et les attaques ennemies qu’il fallait repousser, où la mort rôdait en permanence à quelques centimètres au-dessus de leurs têtes, ils s’étaient habitués à la boue, à la pluie, aux poux, à la saleté et surtout à ne pas penser plus loin que la minute suivante.
    — Pour manger, je dis pas, mais pour la picole, j’ai quand même chez moi autre chose que la piquette qu’ils nous apportent.
    — C’est-y vrai que tu fabriques des tonneaux ?
    — Un peu, mon neveu, et des fûts et des foudres, pour le cidre ou pour le vin. Ils m’en commandent jusqu’en Champagne.
    — C’est pas en Champagne que tu vas faire des affaires, à cette heure, remarqua Peuch.
    — Quand la guerre sera finie, je t’en achèterai quelques-uns, de tes tonneaux, conclut Fontaine.
    Célestin avait remarqué que de parler de la fin de la guerre, c’était une manière à eux de conjurer le mauvais sort : s’ils pensaient déjà aux affaires qui allaient reprendre, sûr qu’ils s’en sortiraient. Il termina son morceau de pain, alluma une cigarette et fit quelques pas dans la tranchée. Le front était à peu près calme, mis à part l’écho lointain d’un duel d’artillerie. Il tomba sur le lieutenant qui examinait le champ de bataille à l’aide d’une paire de jumelles. Mérange se retourna à l’approche de Célestin et lui sourit.
    — Ça va, ce coup-ci, je n’ai perdu personne.
    — Pourvu que ça dure.
    Tous deux savaient que cela ne durerait pas et qu’il n’y avait aucune raison pour que leur section fût épargnée. Célestin jeta à son tour un regard vers la première ligne.
    — Vous y comprenez quelque chose, vous, mon lieutenant ?
    — À quoi ?
    — À cette guerre, à la stratégie des généraux, à ce qu’ils vont nous demander.
    — Pour l’instant, on limite les dégâts, on stabilise le front. Je pense qu’on va tenter des percées.
    — Pour quoi faire ?
    — Pour enfoncer leurs lignes.
    — Jusqu’en Allemagne ?
    — J’ai du mal à savoir quand vous êtes sérieux, Louise.
    Le jeune officier sourit.
    — Ça vous dirait, un petit verre de fine ?
    Ils descendirent dans la cagna. Mérange se l’était appropriée en étalant ses affaires, un livre ouvert sur la banquette qui servait de lit, quelques feuilles et de l’encre sur une petite table, une photographie posée sur une caisse de munitions qui faisait office de table de chevet.
    — Ma femme Claire, dit Mérange qui avait suivi le regard de Célestin.
    — Excusez-moi, je suis trop curieux, il faut toujours que je regarde partout.
    — Déformation professionnelle, plaisanta le lieutenant en leur servant deux verres d’alcool. À la vôtre, à la victoire !
    Ils burent, le liquide fort brûlait un peu, mais il était délicieusement parfumé. Et surtout, il avait le goût de la paix, des fins de repas en famille ou des dîners entre collègues, quand la vie passe à petites lampées et que la mort, c’est d’abord celle des vieux. Célestin posa de nouveau les yeux sur le portrait photographique de madame de Mérange.

Weitere Kostenlose Bücher