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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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L’attaque allemande avait commencé. Une vague d’hommes s’approchait, on distinguait dans la fumée de la canonnade et les explosions des grenades des silhouettes qui couraient, plongeant dans les trous d’obus, s’abritant derrière les moindres débris ou les plus petits dénivelés de terrain. Les assaillants tiraient dès qu’ils le pouvaient, sans trop de précision. La mitrailleuse en fauchait beaucoup, mais il en venait toujours de nouveaux, et certains balançaient eux aussi des grenades. L’une d’elles vint rebondir dans la tranchée, juste derrière les soldats qui tiraient. Dans un geste réflexe, Garin se précipita pour la ramasser et la renvoyer, mais l’engin explosa dans sa main. Il fut déchiqueté, des lambeaux de chair, d’uniforme, de tripes, s’envolèrent tout autour. Célestin sentit un corps spongieux qui lui entrait dans le col, il s’en débarrassa d’un geste vif et constata, écœuré, qu’il s’agissait d’un morceau de cervelle. Il se mit à tirer comme un fou, rechargeant son fusil à toute vitesse, alignant les ombres qui s’approchaient comme des cibles d’entraînement. Certaines s’écroulaient, d’autres disparaissaient dans un abri de fortune.
    — T’en as dégommés, Louise ? cria Flachon.
    — J’en sais rien.
    En vérité, il préférait ne pas le savoir. Près de Célestin, Béraud dégueulait tout ce qu’il pouvait. Mérange l’attrapa par le col et le remit à son poste de tir.
    — Défendez-vous, nom de dieu ! Vous dégueulerez après !
    Célestin avait remarqué que les Allemands avaient mis leur baïonnette au canon. S’il supportait les bombardements et les explosions, la perspective d’un corps à corps l’angoissait. Des gouttes de sueur lui coulaient sur le front. Puis, tout à coup, les tirs de 75 de l’artillerie française se firent plus précis, le temps de quelques salves. La terre sembla comme hachée, retournée par un géant décidé à n’en pas laisser une miette intacte. Un mur de caillasses et de fumée s’éleva entre les deux tranchées, comme une vague immense, menaçante, qui allait tout emporter.
    — Continuez à tirer ! cria Mérange.
    Il y eut ensuite un moment d’indécision, un de ces instants où bascule le sort d’une bataille. Assommés par le tir d’artillerie, décimés par le feu nourri des Français, les Allemands commencèrent à se replier. La nouvelle se propagea tout le long de la tranchée : la 22 e compagnie avait tenu bon, elle avait repoussé l’attaque.
    — Cessez le feu ! commanda Mérange.
    Il ne pleuvait plus depuis le matin, mais le ciel menaçant laissait filer des nuées sombres qui tantôt se superposaient, tantôt semblaient se poursuivre jusqu’à l’horizon. La section avait été mise au repos après ses trois jours au feu, avec félicitations du colonel Tessier, un officier sec et glabre qui aboyait plus qu’il ne parlait. Les godillots délacés, la capote ouverte, le cou protégé par des écharpes de fortune faites de morceaux de couvertures, les soldats se réchauffaient autour d’un feu de bois. Ils avaient trouvé refuge dans une ferme abandonnée juste à la sortie de Chavonne. Les officiers avaient pris leurs quartiers à l’intérieur, laissant le préau et l’étable à leurs hommes. Une chambre avait été aménagée en infirmerie, les blessés les moins graves y transitaient une nuit ou deux. On y mettait aussi à mourir ceux qui étaient intransportables, et l’air froid de ces journées grises était régulièrement traversé par un hurlement de douleur ou d’agonie. Les soldats s’y étaient faits, comme ils s’étaient faits à l’âpreté des combats, au vacarme assourdissant des explosions, au sifflement des balles, au rythme épuisant qui commandait à leur va-et-vient des lignes à l’arrière et de l’arrière aux lignes. Flachon avait déterré quelques pommes de terres qu’il enfouissait sous la cendre et qu’ils dévoraient à moitié crues, mais si chaudes…
    — À la guerre comme à la guerre, c’est le cas de le dire ! rigola le tonnelier, la bouche pleine.
    Fontaine avait déniché un tonnelet d’eau de vie dont ils avaient rempli leurs bouteillons. Éméchés la plupart du temps, ils passaient ces journées de repos dans une sorte d’hébétude, seulement préoccupés des détails de la vie courante, sans jamais parler du front. Parfois, pourtant, ils discutaient les rumeurs apportées par le fourrier ou par une

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