La cote 512
à mort. Des cris le firent réagir. Une poignée d’hommes était coincée dans un des abris, emmurés vivants à la suite du bombardement. On n’en voyait plus que le haut de la porte, qu’à l’intérieur les infortunés prisonniers agitaient frénétiquement. Avec ses mains d’abord, puis avec un bout de planche, il se mit à dégager la terre jusqu’à ce que la porte, entrebâillée, pût ménager un espace suffisant pour faire sortir les hommes. Il y avait là Flachon, Peuch, Fontaine et le petit Béraud. Trop essoufflés pour remercier Louise, ils se laissèrent tomber assis sur le tas de terre, le temps de reprendre leur respiration. Béraud fut le premier à remarquer le corps de Charic. Il échangea un regard avec Célestin. Celui-ci, trempé de sueur malgré le froid, les mains en sang, réfléchissait. Ce fut Flachon qui parla le premier, comme d’habitude, en désignant Charic.
— T’as du bol, Louise. Il voulait te faire passer en conseil de guerre, t’étais mal barré. Nous, t’inquiète pas, on dira rien.
— Au fait, pourquoi que t’es parti ? demanda Peuch. Parti et puis revenu, ce qui est pas très malin.
— C’est la mort du lieutenant qui me tracasse.
— Encore ? Mais arrête avec ça, tu vois pas que tout le monde s’en fout ? Et puis j’ai demandé aux autres, personne a rien vu de bizarre.
Du regard, il interrogea les trois autres qui firent « non » de la tête.
— Tu t’y connais, en balles de fusil ? demanda Célestin.
— Pas vraiment, je suis maréchal ferrant, et Fontaine est paysan. Le flic, c’est toi.
Célestin préféra taire la tentative de meurtre dont il avait été l’objet. Il exhiba seulement la balle extraite du corps du lieutenant.
— Vous pensez que cette balle a pu être tirée par un fusil français ?
La balle passa de main en main, déclenchant seulement la perplexité. Flachon la rendit au jeune policier.
— P’têt’ ben qu’oui, p’têt’ ben qu’non. Faudrait que tu demandes à un armurier.
— Il y a une armurerie, ici ?
— Il y en a une à l’état-major, à Soissons. C’est là qu’ils remettent nos pétoires en état, et qu’ils les répartissent dans les compagnies.
— Il faut que j’aille là-bas, il faut que je voie un armurier.
— Qu’est-ce que t’irais foutre à l’état-major ?
— Passer en conseil de guerre, par exemple. C’est une bonne raison, non ?
— T’es pas un peu dingue, le parigot ? Tu t’en sors déjà de justesse, et maintenant tu veux replonger ?
— Je veux savoir qui a tué Mérange.
Il regarda ses compagnons exténués, sales, misérables et qui ne le comprenaient absolument pas. Sauf Béraud, peut-être, le petit voleur qui avait décidé une fois pour toutes d’être de son côté, quoi qu’il pût arriver.
— Il y a bien des menottes, dans le paquetage de Charic ? Béraud, tu m’accompagneras.
Ils formaient un drôle de couple en quittant les lignes, le petit voleur et le policier menotté, à l’aube du jour suivant.
— N’empêche, répétait Béraud, c’est le monde à l’envers !
— Le monde ? Quel monde ? Où tu vois un monde, ici ?
Ils marchaient sur le chemin de halage, le long d’un canal. Les arbres dépouillés, alignés au bord de l’eau grise, laissaient passer le vent froid. Une péniche s’était amarrée juste après une petite écluse. Le cheval de trait, un gros percheron placide, avait été détaché de son harnais et broutait de vagues mauvaises herbes. Une femme aux traits tirés se montra à la fenêtre de la cabine de pilotage. Elle retint à l’intérieur un enfant qui voulait sortir, il y eut quelques cris étouffés puis le glissement d’un panneau de cale. L’eau remuait à peine. Toute circulation sur le canal qui partait vers l’est avait été interrompue. La péniche, basse sur l’eau, devait remonter une cargaison de sable pour revenir avec du charbon ou de la potasse. La guerre qui tuait les hommes ruinait aussi tous ces petits artisans qu’on ne laissait plus voyager. Célestin et Germain croisèrent ensuite une patrouille de gendarmerie, on leur demanda leurs papiers, Béraud expliqua maladroitement qu’ils allaient à l’état-major et que Louise allait passer en conseil de guerre. Les gendarmes lancèrent à Célestin des regards de mépris. La tension était montée très vite entre la maréchaussée et la troupe. Les poilus en goguette, cherchant à améliorer leur ordinaire
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