La cote 512
balles au canon. Après une rafale de six ou sept coups, l’arme s’enraya. Le tireur se mit à jurer.
— Ça ne marchera donc jamais, cette saloperie ! Faut que ça s’enraye au bout de dix coups !
Il se tourna vers Célestin qui reconnut immédiatement l’homme au couteau qui avait voulu le trucider dans le train. L’autre aussi avait identifié le jeune policier.
— Tiens, vous êtes encore vivant, vous ?
— On est mieux ici qu’aux tranchées.
— J’ai rien demandé. On m’a mis là parce que je connais bien les armes, et qu’il paraît que j’ai mauvais caractère. Mais croyez pas que je ne suis jamais monté au front : j’ai eu ma part de Boches.
— Je vous fais confiance. J’ai un renseignement à vous demander.
L’autre le regarda avec un air méfiant.
— Dites toujours.
Célestin sortit de sa poche les deux balles qu’il avait récupérées, l’une dans le corps du lieutenant, l’autre sur la voie ferrée.
— Est-ce que vous pouvez me dire par quel type d’arme ces balles ont été tirées et, le cas échéant, si elles ont été tirées toutes deux par la même arme ?
L’armurier prit les deux balles, les fit jouer dans le creux de sa large main, les examina à la lueur d’une lampe à acétylène, puis haussa les épaules.
— Ce sont des balles de Lebel, ça, c’est sûr. Mais celle-ci est trop abîmée pour que je vous en dise plus.
— Elles ont donc été tirées par un Français ?
— Évidemment : les Boches ont des Mauser, tenez, regardez, comme celui-ci.
La brute se lança dans une comparaison détaillée des avantages et inconvénients de l’armement de chaque camp. Célestin trouva un moyen de l’interrompre et prit congé.
— Je vous laisse les balles, si jamais vous découvrez quelque chose. Je vous ai mis mon nom sur un bout de papier : soldat Célestin Louise, 134 e régiment d’infanterie, 22 e compagnie, 3e section.
— Et pourquoi vous voulez savoir tout ça ?
— Parce qu’on m’a tiré dessus.
— Vous non plus, vous ne devez pas avoir bon caractère !
— Sans doute. Bon courage.
Louise quitta l’armurerie. Il avait appris ce qu’il voulait : le lieutenant de Mérange avait bien été tué par un Français. Il s’agissait maintenant de retrouver Germain Béraud et de voir s’il ramenait lui aussi les renseignements désirés.
Chapitre 7
RÉFLEXIONS
Célestin fit rapidement le tour des bâtiments de l’état-major, mais il ne pouvait pas s’attarder. Il voulait éviter de se retrouver nez à nez avec le capitaine qui l’avait interrogé. Béraud n’était nulle part. Un jeune aide de camp déchargeait d’un camion des sacs postaux remplis de lettres qui allaient devoir subir l’épreuve de la censure. Il ne fallait pas démoraliser l’arrière. Mais, aux lettres qu’il avait écrites à sa sœur, il savait que les combattants eux-mêmes déformaient la réalité d’une guerre dont ils ne voulaient pas dévoiler les atrocités à leurs proches, par crainte de les inquiéter. Et puis, comme le lui avait dit Peuch, « à quoi bon tout raconter puisque la moitié des choses qui se passent ici ne sont pas croyables ! » Célestin se résolut à quitter l’enceinte de l’état-major. Il s’était engagé sans se presser sur le petit chemin qui ramenait au canal quand un sifflement l’alerta : c’était Germain qui l’avait guetté, dissimulé dans un buisson.
— Qu’est-ce que tu fiches ici ?
— C’était pas la peine que je me fasse remarquer : il y en a, du remue-ménage, par ici !
Il rejoignit Célestin et les deux soldats se hâtèrent de quitter le hameau. Comme pour donner raison à Béraud, ils croisèrent encore un convoi formé d’une voiture d’officier et de deux camions Renault. Rangés sur le bas-côté, ils saluèrent un commandant qui leur fît un signe de tête distrait. Puis, quittant la petite route, ils reprirent le chemin de halage. Un rideau d’arbres balançait son reflet tremblant dans l’eau noire, en contrebas. Louise brûlait de connaître le résultat des investigations de son compagnon. Germain lui tendit une liasse de papiers.
— C’est tout ce que j’ai trouvé, c’était dans une grande enveloppe au nom de Paul de Mérange, lieutenant.
— Tu as pris les originaux ? s’étonna Célestin.
— Qu’est-ce que j’aurais dû faire ?
— Recopier les plus importants.
— Je n’aurais pas eu le temps. Je n’écris pas assez vite,
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