La Cour des miracles
de lui faire honneur.
Un soir, comme elle se promenait lentement dans une allée qui longeait la haute muraille du parc, l’un des factionnaires placés de distance en distance, la regarda si fixement que Gillette s’approcha de lui.
Plusieurs fois déjà, il lui était arrivé d’adresser quelques paroles à quelques-uns de ces soldats, et cela se terminait toujours par l’offrande d’une pièce d’argent.
Ce soir-là, donc, Gillette, ayant vu ce factionnaire qui la regardait et croyant qu’il avait peut-être quelque grâce à lui demander, s’approcha de lui.
– Vous désirez me parler, n’est-ce pas ? demanda-t-elle avec douceur.
Le factionnaire regarda rapidement autour de lui.
– M. Triboulet est à Fontainebleau, dit-il.
Gillette poussa un cri, et ses femmes s’élancèrent auprès d’elle au moment où le soldat allait peut-être ajouter quelque nouvelle révélation.
Gillette vit bien qu’il avait encore à parler.
Mais il était trop tard !
– Est-ce que cet homme s’est montré insolent ? s’écria la première dame d’honneur ; je vais faire appeler l’officier…
– Mais non, dit vivement Gillette, un faux mouvement que j’ai fait m’a fait craindre de tomber, voilà tout !
– Au reste, ajouta la duègne d’un air pincé, lorsqu’une grande dame condescend à converser familièrement, contre toute étiquette, avec de pareilles espèces, il faut s’attendre à tout…
Gillette s’était éloignée en jetant au soldat un regard d’intelligence.
Le lendemain, redescendue dans le parc, elle chercha vainement le factionnaire.
Les jours suivants, il en fut de même.
Gillette imagina qu’on s’était peut-être défié de ce soldat, et, pour endormir les soupçons, elle cessa de descendre au parc.
Il faut se représenter tout ce qui se cachait de désespoir sous sa feinte indifférence pour imaginer sa joie à apprendre qu’elle n’était pas abandonnée, qu’on la cherchait, qu’on s’occupait de sa délivrance…
Elle était dans cette situation d’esprit lorsqu’on vint lui annoncer la visite de Sa Majesté.
Gillette fut prise d’une mortelle angoisse et se sentit pâlir. Pour la première fois, elle se rendit dans le grand salon où se tenaient les dames d’honneur, qui, à son arrivée, se levèrent et firent la révérence.
Là, elle se rassura quelque peu.
Et elle s’assit près d’une fenêtre, laissant errer son regard sur cette ville de Fontainebleau, reportant sa pensée de Triboulet à Manfred, puis songeant à ce roi qui se prétendait son père et qu’elle redoutait comme un larron.
– Messieurs, le roi ! cria une voix dans l’antichambre.
François I er entra.
Gillette avait jeté autour d’elle un regard de terreur en constatant que les femmes quittaient la salle, et que les portes se fermaient.
– Sire ! dit-elle d’une voix qui tremblait d’indignation plus encore que de crainte, faites ouvrir les portes, ou je crie et je fais un scandale tel que vous n’oserez plus jamais venir ici.
– Rassurez-vous, dit François I er .
Il frappa sur une table. Un gentilhomme apparut.
– Pourquoi ferme-t-on les portes ? dit le roi. C’est inutile. Je n’ai que peu d’instants à passer auprès de M me la duchesse.
Et, se tournant vers Gillette :
– Vous voyez, je vous obéis, Gillette. Mais pourquoi vous défier ainsi de moi ?
C’était la première fois que le roi l’appelait de ce nom de « Gillette ». Jusqu’ici, en lui parlant, il avait affecté de dire « mon enfant ».
Il reprit :
– Vous serez donc toujours mon ennemie ? Que vous ai-je fait, méchante ?
Gillette tressaillit d’horreur.
Le ton de François I er était changé. Elle reconnaissait maintenant la voix de l’homme qui avait pénétré par violence dans la petite maison de l’enclos du Trahoir et avait essayé de l’enlever.
– Je venais, continua le roi, je venais m’enquérir de votre santé… Vous pâlissez, Gillette, vous maigrissez… Vous vous renfermez dans vos pensées… Quand vous me connaîtrez mieux, vous regretterez votre injustice à mon égard… En attendant, je voudrais vous distraire… Demain, il y aura chasse… Voulez-vous en être ?
– Je veux bien, sire ! dit Gillette.
François I er demeura stupéfait.
– Vous acceptez ?
– Oui, sire. Je n’ai jamais vu de chasse, et cela me fera plaisir…
– Par Notre-Dame ! voilà le premier moment de joie que j’éprouve depuis bien
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