La Cour des miracles
d’ailleurs certain que si Rabelais avait connu la vérité, il serait accouru du fond de l’Italie où il s’était réfugié.
Mais Rabelais ne savait pas que Diane de Poitiers s’était emparée de la lettre qu’il avait écrite à François I er et du médicament qu’il avait préparé.
– Quant à ces chirurgiens qui m’entourent, continua le roi, me livrer à eux serait hâter ma mort. Il n’y avait dans mon royaume qu’un homme capable de me sauver, et il s’est enfui ! Je suis bien perdu… Oh ! être roi et être terrassé par une femme !
Il s’arrêta sur ce mot, évoquant la nuit qu’il venait de passer dans les bras de Madeleine Ferron, et une bouffée de sang monta à son visage.
Mais aussitôt la haine parla en lui plus fort que le désir, et il murmura :
– Pourvu que La Châtaigneraie la trouve ! Par tous les diables, je veux qu’elle me précède en enfer !…
Ce dernier mot, encore, le fit tressaillir.
– L’enfer ! songea-t-il ; c’est bien là ce qui m’attend !
Il reprit sa promenade furieuse et gronda :
– Perdu et damné, soit ! Damné pour damné, il faut que je le sois à bon droit… Ces scrupules qui m’étourdissaient, ces voix qui faisaient vacarme en mon cœur, je les étoufferai… Il me reste peut-être un an… six mois à vivre… Je veux vivre ces journées, ces heures, ces minutes… je veux vivre ardemment, sans en perdre une seule… je veux mourir rassasié de volupté, dans une dernière convulsion de plaisir… Et, par la mort-dieu, ce sera encore une belle mort, digne de moi !
Maintenant, il allait et venait comme un fauve.
– Des scrupules ? continua-t-il en haussant ses larges épaules… Est-il sûr
qu’elle
est ma fille, d’abord ? Parce que cette folle a jeté par hasard un mot… Est-ce que je le sais, moi, si elle est ma fille !… Et puis… et puis, quand elle le serait ! L’infernale drôlesse de cette nuit, en achevant de m’empoisonner, n’a-t-elle pas dit que l’enfer m’attend !… A quoi bon hésiter, alors ?… Damné, soit !… Oh ! cette pureté immaculée, cette blancheur de lys, cette suave innocence… tout cela promis au délire de mon agonie ! Mourir ! Sentir peu à peu ce robuste corps tomber à la hideuse pourriture, voir l’abominable gangrène gagner mes jambes, mes bras, ma poitrine… sentir mon cœur s’effriter jusqu’à ce qu’il cesse de battre… Oui, oui ! tout cela va devenir une réalité… Que dis-je ? C’est déjà l’horrible réalité… Mais puisque je meurs, périsse avec moi le lys immaculé, et que mon agonie, brûlante au moins, se rafraîchisse au contact de cette pureté… Mourir… oh ! mourir, désespéré, dévoré par l’infâme lupus… mais mourir dans les bras de Gillette !…
Ainsi toute la pensée du roi mourant se concentrait sur trois objets qui se tenaient étroitement :
Madeleine, cause du mal ; le mal lui-même ; Gillette.
Pour la maladie, il n’y avait rien à faire ; il se savait condamné.
Pour Madeleine Ferron, il rêvait le supplice.
Pour Gillette, il rêvait de la sacrifier à son dernier délire.
François I er sortit de sa chambre et entra dans un vaste salon rempli de courtisans, comme la Châtaigneraie arrivait.
– Eh bien ? demanda-t-il.
– Nous avons fait buisson creux, sire.
– Oh ! la maudite ! gronda le roi.
– Nous avons fouillé la maison de fond en comble et n’avons trouvé… que le cadavre d’un homme, un fort vilain cadavre avec une gorge béante…
Le roi frissonna au souvenir de la scène qu’évoquaient ces paroles.
– C’est bien, dit-il. Montgomery ?
– Me voilà, sire ! dit le capitaine des gardes.
– Ecoutez…
François I er entraîna le capitaine dans l’embrasure d’une fenêtre, et lui donna ses ordres :
– Prenez cent hommes intelligents et sûrs, divisez-les en autant de compagnies qu’il y a d’auberges à Fontainebleau. A chacune de ces compagnies, désignez une auberge ; attendez la nuit ; et ce soir, vers dix heures, faites fouiller toutes les hôtelleries de la ville ; arrêtez sans explications toute personne étrangère à la ville, qui y sera arrivée depuis que j’y suis moi-même – vous entendez toute personne, homme ou femme…
– Je comprends, sire…
– Surtout les femmes ! ajouta le roi. En attendant, faites monter à cheval cinquante de vos meilleurs cavaliers et envoyez-les sur toutes les routes, et principalement celle de
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