La Cour des miracles
avait posé cette question, elle avait tremblé qu’on ne lui répondit :
– Fontainebleau ! Mais ça n’existe pas ! Il n’y a pas de Fontainebleau !
Maintenant, elle était sûre.
Elle marcha toute la journée ; la nuit venue, elle dut s’arrêter encore, et ce ne fut que le lendemain qu’elle arriva.
Un groupe de maisons lui était apparu, et à un homme qu’elle croisait, elle avait posé sa question habituelle :
– Fontainebleau, est-ce loin ?
L’homme avait allongé le bras vers les maisons, en disant :
– Fontainebleau ? Vous y êtes, c’est ça…
La folle demeura toute saisie. Elle s’était arrêtée, les mains jointes, les yeux dilatés d’étonnement.
Le long du chemin, elle avait eu cette impression sourde que jamais elle n’arriverait et que les gens se moquaient peut-être d’elle quand ils lui disaient :
– Dans quatre heures… dans deux heures, vous y êtes. Elle y était !
Et ce fut avec une sorte de timidité qu’elle entra dans la ville, une timidité qui la faisait marcher doucement, comme elle faisait quand elle entrait dans une église, à Paris, l’hiver, pour s’abriter contre le froid ou la pluie.
Quelques instants plus tard, elle arrivait devant le château.
Le château lui apparut comme un palais féerique.
– Dieu, que c’est beau ! murmura-t-elle avec une profonde et sincère admiration.
Elle s’approcha lentement des grilles, comme invinciblement attirée, hypnotisée.
– Au large ! cria soudain un arquebusier ; au large, la femme ! ou je fais feu !
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Chapitre 28 LA FILLE DE MARGENTINE
N ous avons laissé François Ier au moment où, ayant visité les divers postes du château, il rentrait dans ses appartements.
La rencontre de Manfred et de Lanthenay avait fait oublier au roi la nuit extraordinaire qu’il avait passée chez Madeleine Ferron, nuit d’amour et de haine, de terreur et de passion, qui s’est terminée sur la tragique vision de cet homme tombant, la gorge ouverte.
Tous ces souvenirs revinrent frapper naturellement l’esprit de François au moment où il crut avoir pris de suffisantes précautions contre les deux truands.
– La Châtaigneraie, es-tu fatigué ? demanda-t-il.
– Oui, sire, s’il s’agit de moi-même ; non, s’il s’agit du service de Votre Majesté.
– Eh bien, puisque tu n’es pas fatigué, dit le roi qui n’avait voulu entendre que la deuxième partie de la réponse, tu vas te faire donner une escorte et aller fouiller la maison à la porte de laquelle tu m’as laissé cette nuit. Tu arrêteras toute personne qui se trouvera dans cette maison.
– Même si c’est une femme, sire ?
– Surtout si c’est une femme.
La Châtaigneraie s’éloigna en pestant fort contre la corvée que lui imposait son maître.
Quant à François I er , il ordonna à son valet de chambre de faire prévenir la jeune duchesse de Fontainebleau qu’il comptait aller la voir, et commanda qu’on le laissât seul.
Selon son habitude, toutes les fois qu’il avait un grave sujet d’ennui, il se mit à se promener avec agitation.
Puis, brusquement, il s’arrêta devant un grand miroir où il pouvait se voir de la tête aux pieds.
Le miroir lui renvoya l’image d’un homme vigoureux, d’un athlète aux larges épaules massives, aux jambes fortement musclées, et il sourit.
Ayant constaté d’un coup d’œil qu’il pouvait encore, par la prestance, passer pour le premier gentilhomme du royaume, François I er continua son inspection par l’examen du visage. Alors son sourire disparut.
Là, en effet, se multipliaient les signes d’une vieillesse prématurée. De grosses rides profondes traçaient des rigoles sur son front ; ses joues s’étaient alourdies ; il constata avec effroi que, depuis un mois environ, ses cheveux avaient blanchi, et que sa barbe grisonnait. Ses paupières se bordaient de rouge, et le regard devenait terne. Et enfin, parmi les signes impitoyables de la fatigue physique, se montraient les signes honteux du mal qui le rongeait.
– Je suis perdu ! murmura François I er en se laissant tomber dans un fauteuil. Je suis perdu… et rien ne peut me sauver. Rabelais m’avait juré de me trouver un remède… mais Rabelais a disparu… Lâche comme tous ses pareils, il m’abandonne traîtreusement… il se parjure…
Le roi ne se disait pas qu’il avait, lui, parjuré sa parole en laissant supplicier Dolet qu’il avait juré de sauver. Il est
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