La Cour des miracles
haine contre Lanthenay n’en était pas atténuée.
– Révérend père, dit Monclar en s’asseyant au chevet de Loyola, je suis tout à fait décidé… Vos conseils, vos sages avis m’inspirent. Je veux entrer dans le saint ordre que vous avez fondé pour la gloire de Jésus et la prospérité de l’Eglise…
– Bien, mon fils ! dit Loyola dans un souffle.
– Je vais donc quitter le monde, abandonner cette cour où tout est mensonge et perfidie… Peut-être enfin trouverai-je la paix au fond d’un monastère !… Je veux m’y retirer au plus tôt.
– Non ! fit Loyola.
– Comment, révérend père ?
– Je dis que vous ne devez pas entrer dans un couvent…
– C’est vous-même qui m’avez suggéré cette pensée !
– Non ! La pensée d’entrer dans notre ordre, mais pas de vous retirer au couvent. Il faut rester à la cour.
Loyola souffla un instant.
– Mon fils, reprit le moine, il y a deux manières de servir Dieu et l’Eglise. La première, c’est la plus facile. C’est celle que choisissent les cœurs pusillanimes qui se réfugient en Dieu au lieu de courir le monde pour combattre en son nom. Ceux-là entrent au monastère. Ils y vivent en paix ; ce sont des saints quelquefois, mais ce sont surtout des lâches…
Loyola parlait sans exaltation.
Et pourtant, il y avait une singulière énergie dans le ton de sa voix, bien qu’elle fût affaiblie par la souffrance.
– La deuxième manière, continua-t-il, convient aux âmes fortes, aux esprits bien trempés, aux cœurs qui ne tremblent pas. Un moine, mon fils, c’est un soldat. Soldat de Jésus ! Quel beau titre de gloire ! Cette manière, monsieur le comte, consiste à demeurer dans la vie laïque, à agir aux yeux du monde comme si on n’avait prononcé aucun vœu, et pourtant à faire converger tous ses actes, toutes ses pensées, toute sa force, toute son intelligence vers un but unique : la gloire de Jésus et la prospérité de l’Eglise…
– Mais, mon père, fit Monclar, cette manière-là, c’est celle de tous les bons chrétiens qui ont la foi vigoureuse.
– Vous me comprenez mal. Celui dont je parle, l’homme fort intelligent et supérieur qui demeure laïc et se dévoue à l’Eglise…
Loyola s’interrompit soudain, puis reprit :
– Entendez-vous, mon fils, ce que signifie ce terme : l’Eglise !
– L’Eglise, mon père… mais c’est l’ensemble des fidèles, c’est le troupeau que conduisent nos prêtres ; au-dessus des prêtres, il y a les évêques, puis les cardinaux, puis, tout près de Dieu, celui dont les pieds reposent sur la terre et dont la mitre touche au ciel : le Saint-Père !
– Vous avez raison jusqu’à un certain point. C’est là l’Eglise pour le vulgaire, pour le troupeau ainsi que vous dites. Mais vous, mon fils, vous n’êtes point du vulgaire. L’Eglise, c’est ce que vous venez de peindre, mais il y a quelque chose au-dessus des prêtres, au-dessus des évêques, des cardinaux et du pape lui-même.
– Quoi donc, révérend père ? demanda Monclar.
– Il y a nous ! répondit Loyola.
– Nous ?…
– Nous… c’est-à-dire les chevaliers de la Vierge, c’est-à-dire l’ordre de Jésus, la société sacrée, la compagnie toute-puissante devant laquelle rois, empereurs et pape même ont déjà courbé le front. Quant je dis l’Eglise, je veux dire : l’Ordre de Jésus.
Monclar s’était incliné.
– Je suis comme ébloui, mon père, fit-il d’une voix tremblante. Ah ! maintenant seulement, je comprends la sublime mission de force et de lutte que vous avez acceptée !
Loyola sourit.
Cet esprit austère du grand prévôt, si dur aux pauvres gens, si revêche, si inaccessible à la pitié, il le pétrissait à son gré.
– Je recevrai vos vœux, mon fils ; dès que je serai en état, je vous entendrai en confession, je vous révélerai ensuite la règle de notre ordre, et désormais vous en ferez partie. Mais, comme je vous le disais, ces vœux demeureront secrets ; pour tous, pour le roi lui-même, pour le monde entier excepté pour moi vous ne serez encore que le grand prévôt de François I er . Mais pour moi, vous serez un membre de la société de Jésus, et pour Dieu, mon fils, vous serez un élu !
– Et que me faudra-t-il faire pour servir dignement l’Eglise, c’est-à-dire la puissante société dont je ferai partie ?
– J’ai jeté les yeux sur vous, mon fils ; j’ai vu votre foi
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