La Cour des miracles
pour vous un bon de mille écus sur le trésor… Ne perdons pas de temps en discours inutiles. Vous m’avez trahi, c’est bien : je ne vous en veux pas. Et je viens vous dire : Voulez-vous à son tour trahir le roi que vous avez servi cette nuit ? Voulez-vous à ses mille écus ajouter mille autres écus que vous gagnerez de mon côté ? Cela vous fera deux mille écus : une fortune.
Le Mahu avait écouté fort attentivement.
Il fut convaincu que la duchesse parlait de bonne foi.
– Que faut-il faire ? demanda-t-il froidement.
– D’abord me raconter comment les choses se sont passées cette nuit.
N’ayant plus aucune raison de mentir, Le Mahu fit des événements de la nuit un récit très sincère.
– J’aurais dû, ajouta-t-il en terminant, vous prévenir lorsque j’ai vu la duchesse de Fontainebleau… mais je suis si pauvre, madame…
– Oui, vous avez été du côté du maître le plus riche… Je vous répète que je ne vous en veux pas. Vous n’êtes qu’un instrument, et c’était à moi de m’assurer de votre fidélité en la payant convenablement.
– Parbleu ! madame, s’écria Le Mahu en s’épanouissant, vous parlez d’or !
– Donc, vous êtes résolu à faire ce que je veux… moyennant un honnête salaire, bien entendu ?
– Les mille livres en question…
– C’est cela même.
– J’attends vos ordres, madame. De quoi s’agit-il ?
– De nous emparer à nouveau de la petite duchesse.
– C’est difficile, madame.
– Bah ! j’ai un plan. Je ne vous demande pas de penser ; je ne vous demande que d’exécuter.
– Oui, comme un bon instrument ; cela me va tout à fait.
– Très bien. En ce cas, soyez à midi chez moi. Le roi quitte le Louvre à deux heures. Toute la cour se rend à Fontainebleau. Je suis du voyage.
– Mais moi, je suis attaché à mon poste, au Louvre.
– Ne vous inquiétez pas de cela : au moment voulu, vous recevrez l’ordre de venir à Fontainebleau ; j’ai déjà pris mes dispositions pour cela.
– Je serai chez vous à midi, madame, dit-il.
– Oui, ce ne sera pas de trop de deux heures pour causer, répondit la duchesse en se levant.
Elle fouilla dans son aumônière, en sortit une bourse à mailles de soie fine et la tendit à Le Mahu, en disant d’une voix très naturelle :
– Tenez, voici des arrhes…
Le Mahu, courbé en deux, saisit la bourse et la serra dans sa main. Au même instant, il poussa un léger cri. Il y avait sans doute une épingle dans la bourse… Et cette épingle l’avait piqué.
– A midi, n’oubliez pas ! fit la duchesse en se dirigeant, vers la porte, comme si elle n’eût pas entendu le cri de Le Mahu.
– A midi, madame… Comptez sur moi, dit-il.
La duchesse sortit.
Le Mahu demeura quelques instants pour lui laisser le temps de s’éloigner.
– Bonne affaire ! pensait-il. Cette bonne duchesse est moins terrible que je ne croyais. Il est vrai qu’elle a besoin de moi… Serais-je enfin sur le chemin de la fortune ?… A propos, voyons ce que contient la bourse…
Il reprit la bourse qu’il avait déposée sur la cheminée, et un autre cri lui échappa.
– Maudite épingle ! gronda-t-il avec un juron. Au diable soient les femmes qui oublient partout des épingles !…
Il ouvrit la bourse. Ce n’était pas de l’or qu’elle contenait.
C’était une pelote, une petite pelote hérissée de sept à huit pointes d’acier.
Le Mahu devint livide et une rauque exclamation d’épouvante lui échappa.
– Oh ! la scélérate ! Elle m’a empoisonné !… Mais malheur à elle ! Avant de mourir, je veux me venger !…
Il voulut s’élancer vers la porte.
Mais il s’arrêta soudain, le front mouillé d’une sueur glaciale, les dents serrées comme un étau ; tout se mit à tournoyer autour de lui ; un voile noir passa sur ses yeux. Il tomba sur ses genoux.
Un instant, il laboura le parquet de ses ongles… puis, tout à coup, il demeura à jamais immobile.
A peu près à l’heure où expirait l’infortuné Le Mahu, – mort au moment même où, pour la première fois de sa vie, il allait enfin toucher la belle somme de mille livres, – à peu près à cette heure-là, le comte de Monclar entrait dans la chambre où le révérend Ignace de Loyola gisait sur un lit.
Loyola ; en voyant entrer Monclar, eut un éclair de joie dans ses yeux abattus. Le moine était hors de danger. Il savait qu’il ne mourrait pas. Mais sa
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