La Cour des miracles
partir de cet instant.
– Bien !… En revanche, Jean le Piètre, je serai à toi.
– Quand ! oh ! quand !…
– Quand
il sera mort !
répondit-elle.
Jean le Piètre s’enfuit comme un fou, et se réfugia au fond de l’écurie.
Là, la tête dans ses poings, il songea :
– Elle aime !… Jamais je n’ai souffert pareil tourment !… Elle aime le roi… Et il faut que cet amour soit bien puissant pour qu’elle ait osé concevoir et exécuter l’acte insensé qu’elle a commis !… Elle s’est empoisonnée pour empoisonner le roi !… Elle a détruit sa beauté pour détruire la vie de François !… Elle aime ! Et moi, misérable, que suis-je pour elle ?… Un vil instrument ! Elle l’a dit… Et j’ai consenti ! Oui, j’ai consenti, je consens encore ! Qu’importe que sa pensée s’envole vers un autre si elle est à moi ! Oh ! le délire de cette heure d’amour !… Et cet homme ! le roi qui passe avec son sourire superbe ! Il mourra ! Je le condamne ! Lors même qu’elle voudrait maintenant le sauver, il est trop tard ! Ma haine fera plus que tous les poisons…
Il se leva et tendit vaguement le poing crispé.
Il était effroyable à voir…
Par une lucarne, Madeleine Ferron ne le perdait pas de vue. Et à le voir si horrible, si terrible, elle eut un doux sourire sur ses lèvres pâles.
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Chapitre 9 UN COURRIER DE PARIS
L e château de Fontainebleau était appuyé à un parc immense dont on peut voir encore de beaux restes.
Ce parc était clos de hautes murailles.
Lorsque François I er venait habiter le château, on plaçait des gardes tout le long de ces murailles, à l’intérieur.
Il y avait un garde à peu près tous les cent pas.
Triboulet était déjà venu deux fois à Fontainebleau avec le roi. Il n’ignorait aucun de ces détails.
Pourtant, c’est par le parc qu’il avait résolu de s’introduire dans le château. Il avait exposé son plan à Ragastens et à Manfred.
Entrer coûte que coûte dans le parc et tâcher de savoir en quel endroit du château se trouvait enfermée Gillette.
Une fois ce point acquis, il connaissait assez la disposition des logis et appartements pour pouvoir, par une nuit obscure, guider ses amis.
Alors, ils pénétreraient à eux quatre dans le château, décidés à tuer tout ce qui ferait obstacle, arriveraient à Gillette, et l’enlèveraient, puis ils partiraient pour l’Italie.
Dès le premier soir de l’arrivée, Triboulet, accompagné de ses trois amis, alla étudier les abords du château.
En passant devant la somptueuse façade, Ragastens et Manfred se rendirent très bien compte de l’impossibilité d’une attaque autrement que par le parc.
La cour était pleine d’hommes d’armes.
Du côté du parc, au contraire, tout était sombre et désert. Ils longèrent le mur.
De l’autre côté, ils entendaient parfois le cri de veille des sentinelles qui se répondaient l’une à l’autre.
Ils parvinrent au fond du parc. Là, par endroits, le mur était en mauvais état. Des pierres étaient tombées ; il y avait des trous.
Ils rentrèrent sans avoir, ce soir-là, rien pu tenter.
Le lendemain et les jours suivants se passèrent de même ; tous les soirs, au seul endroit que l’on pût escalader, il y avait une sentinelle.
Chacun des quatre songeait avec répugnance qu’il faudrait en arriver à tuer un homme inoffensif ou à renoncer à l’entreprise.
Dix mortelles journées s’écoulèrent ainsi.
Manfred se désespérait, et son désespoir l’affolait. Il parlait d’entrer au château en plein jour, de braver le roi, de le provoquer !…
Le soir du onzième jour, Ragastens et Triboulet conférèrent à voix basse.
– Il faut en finir ! dit Triboulet d’un air sombre.
– Je vous comprends… la sentinelle ?… Triboulet haussa les épaules.
– Puisqu’il n’y a pas moyen de faire autrement, dit-il.
– C’est donc moi qui m’en chargerai, dit Ragastens.
Il espérait qu’il pourrait tomber sur le soldat et le bâillonner assez vite pour l’empêcher de crier…
Pour la onzième fois, donc, les quatre compagnons revinrent au mur.
Il était environ dix heures du soir.
– Je monte, dit Ragastens à voix basse, en arrivant à l’endroit favorable. Dès que la chose sera faite, j’appellerai. Vous passerez l’un après l’autre, et après… nous verrons.
A ce moment le cri de veille retentit au loin. Il se répéta de proche en proche.
Et enfin, il
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