La Cour des miracles
fut redit par le soldat qui se trouvait en face de Ragastens, de l’autre côté du mur.
A la voix du soldat, Triboulet tressaillit.
Il s’élança, saisit la main de Ragastens.
– Attendez ! fit-il. C’est moi qui monte.
Dix secondes plus tard, il était au haut du mur, et faisait signe à ses amis de garder le plus profond silence.
Il voyait distinctement la sentinelle immobile, appuyée sur la hampe de sa hallebarde.
A voix basse, Triboulet appela :
– Ludwig !…
Le soldat sursauta.
– Qui m’appelle ? s’écria-t-il.
– Parle plus bas… approche-toi… là ! Ne reconnais-tu pas un ami ? Par la mort-dieu, je ne t’ai point oublié, moi !
– Monsieur Triboulet ! fit le soldat, reconnaissant la voix. Mais vous étiez à la Bastille, disait-on ?
– Ah ! ah ! Et qui disait cela, mon brave Ludwig ?
– Mais tout le monde. C’est M. de Montgomery qui vous arrêta et vous conduisit lui-même en la forteresse Saint-Antoine.
– Diable ! Eh bien, tu vois, si j’étais à la Bastille, j’en suis sorti.
– Vous en êtes sorti ! fit le Suisse ébahi.
– Tout exprès pour venir te demander si tu as toujours envie de revoir la montagne de la Jungfrau, d’aller écouter le « Ranz des Vaches », d’aller embrasser ta fiancée… ta… comment l’appelles-tu déjà ?
– Catherine ! dit le soldat attendri.
– Oui, Catherine. Eh bien, mon bon Ludwig, te souviens-tu de ce que je t’ai promis au Louvre ?
– Si je m’en souviens, par le diable ! Je ne pense qu’à cela, et vous m’avez mis la cervelle à l’envers… Mille écus !…
– De six livres parisis ! De quoi faire bâtir une métairie dans la vallée où tu es né, où tu épouseras ta Catherine, et où tu passeras ton heureuse existence à engendrer toute une nichée de petits Ludwig !
– Monsieur Triboulet, fit le soldat, vous venez encore me tenter !
– Mais pas du tout ! Je viens seulement te dire que je suis prêt à tenir ma promesse.
– Les mille écus !…
– Tu n’as qu’à venir les prendre.
– Où cela ?… s’écria le soldat, enflammé.
– A l’auberge du Grand-Charlemagne.
– Quand ?…
– Quand tu voudras.
– Ah ! vous êtes vraiment un bon homme de vous déranger tout exprès…
– Pour t’apporter la fortune, c’était chose promise !
– C’est vrai, mais je n’eus pas l’occasion de vous rendre le service que vous me demandiez, et je pouvais croire…
– Aussi, mon cher Ludwig, je vais te demander un autre service.
– Ah ! ah ! fit le Suisse désappointé.
– Beaucoup moins dangereux que le premier que tu consentais pourtant à me rendre… Cependant, je ne veux pas te violenter. Il ne manque pas de Suisses dans les gardes, qui ne demanderont pas mieux de gagner honnêtement mille livres en faisant une bonne action…
– Une bonne action qui pourra sans doute me conduire au gibet !
– Oui, si tu es maladroit et si tu manques d’argent. Mais tu es adroit, Ludwig, et tu auras de l’argent…
– Que faut-il faire ? demanda Ludwig.
– Simplement fermer les yeux et te boucher les oreilles pendant deux minutes…
– Vous voulez pénétrer en secret dans le château ?
– Oui !… Et puis te demander un renseignement que tu pourras peut-être me donner. Mais le renseignement est par-dessus le marché.
– Dites toujours.
– Tu as entendu parler d’une jeune fille que le roi a fait amener au château, la veille même du jour où il est arrivé lui-même…
– Vous voulez parler de M me la duchesse de Fontainebleau ?
– Oui ! fit Triboulet ému.
– Pauvre demoiselle, elle a l’air bien triste !
– Oh ! s’écria Triboulet, tu l’as donc vue ?
– Deux fois, les deux jours où j’ai été mis en faction près du château ; elle est descendue dans le parc.
– Seule ? fit Triboulet haletant.
– Accompagnée de deux femmes.
– Et a-t-elle pénétré loin dans le parc ?
– Oh ! non !…
– Ludwig ! veux-tu gagner, non pas mille écus, mais le double ! le triple ; tout ce que je possède ! Veux-tu être riche comme un bourgeois ? Dis, le veux-tu ?
– Silence ! fit Ludwig à voix basse.
Triboulet entendit des pas qui s’approchaient.
C’était une ronde.
Il s’aplatit sur la muraille, le cœur tremblant à la pensée que Ludwig ferait tout ce qu’il voudrait.
La ronde conduite par un officier s’approcha ; l’officier échangea quelques
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