La Cour des miracles
entouré de seigneurs.
– Jean ! fit Madeleine.
D’un bond, il fut près d’elle.
– Regarde cet homme…
– Je le vois…
– C’est le roi de France.
– Je sais, madame…
Le roi était passé. Le fourgon, puis encore des cavaliers défilaient.
Madeleine, pensive, était restée près de la fenêtre.
Dix minutes plus tard, elle vit passer Ragastens et ses trois compagnons.
– Tu vas suivre ces hommes, dit-elle, et tu reviendras me dire où ils sont descendus ; alors, nous aurons à causer.
Jean le Piètre s’élança au dehors. Une heure après, il était de retour.
– Les cavaliers sont à l’auberge du Grand-Charlemagne, rue des Fagots, dit-il.
– Bien ! fit Madeleine qui s’était assise.
Jean le Piètre demeurait debout devant elle.
Elle le regarda soudain en face. Il baissa les yeux.
– Tu disais donc que tu coucherais à l’écurie ? fit-elle.
– Pour ne pas vous gêner, madame, balbutia-t-il.
Elle lui jeta un autre regard qui le bouleversa. Puis elle reprit :
– Tu as bien remarqué l’homme que je t’ai montré ?
– Le roi : oui, madame.
– Si je te disais de le tuer, Jean, que ferais-tu !
– Je tuerais le roi, madame.
Et ardemment, il continua :
– Si vous me dites de tuer le roi, je tuerai le roi. Si vous me dites de tuer le pape, j’irai à Rome et je tuerai le pape. Si vous me dites de renier ma foi, de blasphémer le Seigneur, je renierai ma foi jusque sur le bûcher, et je blasphémerai Dieu jusque dans la torture. Mon roi, mon Dieu, c’est vous, madame ! Mais vous le savez ! Qu’ai-je besoin de vous le dire ! Je vous appartiens corps et âme… Pour une heure pareille à celle que j’ai passée près de vous, je consens à l’éternité de l’enfer… Et que serait d’ailleurs le paradis sans vous ! Oh ! cette nuit quand j’y songe !… Et j’y songe toujours ! Ce souvenir, c’est ma vie, maintenant. Il n’est pas un instant où je ne vois se dresser dans mon imagination l’image qui me poursuit… Et parfois, pour m’apaiser, je me lacère la poitrine à coups d’ongle… Oh ! madame… aurez-vous une fois encore pitié de moi ! Oh ! dites ! ne fût-ce qu’un mot ! Ne fût-ce que pour me laisser vivre avec un semblant d’illusion et une ombre d’espoir ! Dût cette illusion me conduire à de plus affreux tourments ! Dût cet espoir s’évanouir et ne me laisser que d’épouvantables souffrances de regret !
Madeleine écoutait cette passion qui débordait.
– Qui t’a défendu d’espérer ? fit-elle d’une voix caressante.
– Oh ! madame, bégaya-t-il éperdu, prenez garde de me rendre fou de joie !…
– Voyons ! Ai-je donc été si cruelle une première fois ?…
– Oui, c’est vrai ! fit-il, soudain assombri et désespéré. Mais vous ne saviez pas alors !
– Je ne savais pas… quoi ?…
Il baissa la tête et devint livide.
– Ton mal ? demanda-t-elle d’un ton si parfaitement indifférent qu’il en fut secoué d’un étonnement prodigieux, comme s’il eût vu quelque puissante reine jeter sa couronne dans un égout.
Et comme il demeurait stupide d’ébahissement et d’effroi, elle se leva et alla à lui.
Le sourire de ses lèvres avait disparu. Son regard, de caressant qu’il était s’était fait dur et mauvais.
– Oh ! madame, vous me faites peur, s’écria-t-il.
Elle lui saisit la main.
– Ton mal ! s’écria-t-elle, veux-tu savoir ? Veux-tu que je te dise, pauvre misérable ? Ton mal, c’est ce que je voulais en toi !
Il eut un cri d’épouvante et de détresse.
– Est-ce possible ? Je ne rêve pas ! C’est bien vous que j’entends !
– Ton mal !… Je voulais qu’un homme en fût atteint… Un homme que j’exècre, et contre qui j’ai rêvé d’effroyables supplices… Je voulais… mais peut-être n’ai-je pas réussi… Peut-être qu’il m’échappe, puisqu’il vole à de nouvelles amours…
– Cet homme ! cet homme ! gronda Jean le Piètre.
– C’est le roi de France !
Hébété, égaré, Jean la regarda avec des yeux stupides d’horreur.
– Je te dis que peut-être je n’ai pas réussi. Alors, je le frapperai autrement ! J’ai besoin d’un instrument docile, de quelqu’un qui soit mon esclave… Veux-tu être cet instrument, cet esclave ?
– Je le suis ! dit-il sourdement.
– Veux-tu haïr le roi comme je le hais ?
– Je le hais de toutes les puissances de mon être à
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