La Cour des miracles
passait.
Cocardère se précipita à la fenêtre.
En effet, toute intervention était inutile !…
Il vit la rue jonchée de cadavres et de blessés ; des femmes enlevaient les blessés au risque de recevoir quelque balle. Là-bas, au bout de la rue, il vit Lanthenay entouré de gardes… Tout était fini !…
Cocardère tomba sur un escabeau en pleurant.
– Que veux-tu ? lui dit Fanfare qui, par nature, était plus philosophe, c’est son tour aujourd’hui… ce sera demain le nôtre !…
Mais Cocardère ne l’écoutait pas.
Il s’était remis à la fenêtre et examinait ce qui se passait vers le bûcher. Une heure, deux heures s’écoulèrent.
Peu à peu, il vit la foule, revenue de son alerte, se ramasser à nouveau autour du bûcher.
– Allons voir ! dit-il à Fanfare. Peut-être apprendrons-nous du nouveau !
Fanfare, ayant échangé son casque contre une toque qui lui fut prêtée par l’une des ribaudes, suivit son ami, et tous deux, étant descendus, allèrent se mêler à la foule.
C’est ainsi qu’ils assistèrent à toutes les péripéties de cet affreux spectacle.
– Allons nous-en ! dit Fanfare épouvanté.
– Attends…
C’était le moment où Loyola, répondant au cri pitoyable d’une femme, criait que les cendres du supplicié seraient jetées au vent. Des moines avaient saisi des pelles, et les ossements de l’infortuné Dolet avaient été placés dans une caisse pour être emportés.
Tout était fini, les moines s’étaient dispersés, chaque groupe regagnant son couvent…
– Allons ! dit Cocardère.
– Où cela ?…
Cocardère désigna à son ami deux moines qui emportaient la funèbre caisse.
– Suivons-les ! dit-il.
– Pourquoi faire ?… demanda Fanfare étonné…
– N’as-tu pas entendu que les ossements du malheureux vont être jetés en terrain perdu ?
– Oui ! Et après ?…
– Après ?… Tu ne trouves pas cela épouvantable, toi, cœur de bronze ! Tu ne trouves pas abominable cette persécution qui s’acharne sur les os du mort ! Tu ne trouves pas que les moines qui consentent à ce sinistre métier de bourreaux des morts méritent une correction !
– Ma foi, dit Fanfare, je n’y pensais pas, mais puisque tu le juges ainsi…
Tous les deux s’élancèrent, suivant les moines qui emportaient la caisse.
En route, lorsqu’ils furent assez loin du lieu du supplice, les moines se défirent de leurs cagoules. Cocardère et Fanfare reconnurent les deux porteurs.
– Frère Thibaut !…
– Et Frère Lubin !…
– La besogne convient à ces drôles ! reprit Cocardère.
– N’en dis pas de mal : nous avons mangé leurs écus.
Les deux truands suivirent de loin les moines, qui se dirigèrent non vers leur couvent, situé du côté de la Bastille, mais vers la montagne Sainte-Geneviève. Ils les virent entrer dans un monastère d’augustins.
– Attendons-les ! dit Cocardère.
– Attendons ! dit Fanfare avec résignation. L’attente fut longue. La journée se passa sans que les moines furent [5] ressortis. La nuit vint.
Vers dix heures, cependant, ils virent arriver un moine qui frappa à la porte du couvent et disparut à l’intérieur.
Ce moine, que Cocardère et Fanfare ne reconnurent pas, c’était Loyola : il sortait de chez le grand prévôt.
Fanfare pestait fort contre la faction que lui imposait son ami.
– Attendons jusqu’à minuit, dit Cocardère. Alors nous nous en irons, mais vraiment, je n’eusse pas été fâché de donner une leçon à ces misérables.
La persévérance de Cocardère devait avoir sa récompense.
Vers onze heures, la porte du couvent se rouvrait, et deux moines portant une caisse en sortirent. Cocardère et Fanfare les reconnurent sur-le-champ : c’étaient frère Thibaut et frère Lubin.
Loyola, poussant jusqu’au bout la sinistre comédie qu’il avait imaginé, avait en effet donné l’ordre aux deux moines – ses créatures – de porter les cendres de Dolet dans le couvent où il s’était logé depuis qu’il avait quitté le Trou-Punais.
Par son ordre aussi, des chants liturgiques furent psalmodiés toute la journée sur ces pauvres restes du supplicié.
Enfin, lorsque Loyola rentra au couvent, il fit venir Lubin et Thibaut et leur dit que l’heure était venue de faire subir à l’hérétique l’injure posthume qu’il avait méditée.
– Quoi, mon révérend, en pleine nuit !… s’écria frère Thibaut, toujours
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