La Cour des miracles
capitonnée de soie…
Et le grand prévôt était apparu !
La bohémienne, en le voyant, avait senti cette angoisse abominable que l’on éprouve devant certaines bêtes malfaisantes…
Or, près du grand prévôt, apparaissait une femme jeune, belle, radieusement belle, si évidemment et si absolument heureuse qu’elle semblait dégager de la lumière, de la joie et de l’amour…
Le grand prévôt, jeune alors, dans toute la force de sa mâle beauté, la couvait d’un regard si tendre, si plein de passion, que la Gypsie avait profondément tressailli devant la soudaine pensée qui venait de se lever en sa conscience tumultueuse.
Entre le grand prévôt et sa femme marchait un enfant…
La jeune femme le tenait par la main…
L’enfant paraissait quatre ans.
En réalité, c’est à peine s’il en avait trois.
C’était un bel enfant, magnifiquement habillé ; on sentait qu’il devait être idolâtré de son père et de sa mère…
L’enfant, avec des exclamations de joie, s’était élancé vers la chaise…
Mais le père l’avait pris dans ses bras… Il l’avait regardé quelques secondes d’un regard profond.
Dans ce regard, la Gypsie avait lu l’immense passion paternelle du comte de Monclar.
Dès lors, la bohémienne avait senti une joie âpre et douloureuse. Elle tenait sa vengeance !
Elle avait été frappée dans son amour de mère…
C’est dans son amour de père qu’elle frapperait le grand prévôt…
Alors elle avait combiné et mûri son terrible plan.
Huit jours après, le fils du grand prévôt était mystérieusement enlevé !
Fou de douleur, le comte mit sur pied toute la police de Paris, qui fut fouillé de fond en comble.
Un nouveau désastre, premier effet de la vengeance de Gypsie, allait l’atteindre :
Sa jeune femme, frappée au cœur par la perte de cet enfant qui était son adoration, mourait de langueur au bout de trois mois !
Lorsque sa femme fut morte, lorsqu’il fut bien certain qu’on ne retrouverait pas son fils, le grand prévôt espéra un moment qu’il mourrait lui-même.
La destinée lui fut cruelle. Il vécut !…
Peu à peu, son âme, à lui aussi, s’était ulcérée !
Il était devenu sombre, farouche, misanthrope, inflexible, dur aux malheureux qui lui tombaient sous la main, et surtout aux bohémiens, truands et habitants de la Cour des Miracles qu’il accusait sourdement d’avoir volé ou peut-être tué son fils…
Voilà les souvenirs impitoyables qui se dressaient dans l’esprit affolé de la Gypsie, au moment où nous la retrouvons et où elle se dirigeait vers cet hôtel qu’elle venait de quitter deux heures auparavant.
Et elle se rappelait aussi avec quelles minutieuses précautions elle avait élevé le fils du grand prévôt !…
Quelle patience il lui avait fallu pour effacer de ce jeune esprit la première impression d’enfance si forte et si durable.
Et plus tard, lorsqu’il était devenu adolescent, avec quelles lentes et infinies précautions elle lui avait appris à haïr le comte de Monclar !
Quels prodiges d’astuce, quels trésors d’habileté dépensés pour amener le père et le fils en contact ! Pour faire que chacun de ces contacts fût une nouvelle cause de haine dans le cœur de Lanthenay ! Pour faire enfin que le grand prévôt prit inéluctablement la résolution de tuer son fils !
Et tout cela en pure perte !
Comment le comte de Monclar savait-il que Lanthenay était son fils ?
Comment le savait-il au moment même où il allait faire conduire ce fils au gibet ?
– Oh ! grondait-elle en marchant, c’est une effroyable fatalité ! C’est à se briser la tête contre les murs de la maison maudite ! J’aurai donc travaillé en vain. Ma vengeance m’échappera donc à l’heure même où elle allait aboutir ! Oh ! non, non quand je devrais tous les deux les étrangler de ma main…
Comme elle arrivait rue Saint-Antoine, des gens rassemblés regardaient un spectacle qui devait être sans doute des plus intéressants.
Il y avait des gamins, des hommes, des femmes.
Les gamins riaient, et quelques-uns, sournoisement, ramassaient des pierres ; les femmes avaient l’air apitoyé ; les hommes paraissaient étonnés et presque effrayés.
La bohémienne allait passer outre, tout entière à sa pensée, peut-être sans avoir vu ce rassemblement, lorsqu’un mouvement se fit parmi ces gens, les rangs s’ouvrirent, et un homme parut…
Il se heurta presque à la
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