La couronne dans les ténèbres
cordelette que vous portez.
Surpris, Benstede baissa les yeux et tripota nerveusement la cordelette à noeuds et à glands qui entourait sa taille.
— Très peu de gens, souligna Corbett, portent une cordelette avec de semblables noeuds. Je l’ai remarquée la nuit du banquet. Vous vous en êtes servi pour tuer Thomas Erceldoun et elle a laissé son empreinte spécifique sur sa gorge.
Corbett regarda Benstede qui commençait à se ressaisir en comprenant que les Écossais ne pourraient pratiquement rien contre lui tant qu’il dépendrait de l’autorité du roi d’Angleterre.
— En vérité, Messire Corbett, dit-il doucement, la seule personne qui aurait dû mourir, c’est vous avec vos questions pernicieuses et votre esprit fouineur toujours à l’affût.
— Vous avez tout fait pour cela, rétorqua Corbett, acerbe. En fait, ce sont vos tentatives pour m’assassiner, ou plutôt l’une d’elles, qui m’ont convaincu de votre culpabilité. Le couteau lancé dans la grand-salle aurait pu être un accident ou l’oeuvre d’un Français. L’attaque sur la route de Leith et celle près de Dalmeny Ford auraient pu être organisées par des hors-la-loi, ou par les Français ou le clan des Bruce. Mais il n’en était pas de même pour le carreau d’arbalète qui a failli me fracasser la tête quand je rentrai à l’abbaye, le lendemain du banquet. C’était trop bien mené pour être une attaque de hors-la-loi. Je n’avais pas encore fait la connaissance de Lord Bruce, il était donc assez logique de conclure à la culpabilité des Français...
Corbett sourit.
— Ou plutôt c’était ce que vous espériez me faire croire, après l’échec de cette embuscade. Quand j’ai quitté le château, vous m’avez fait suivre. Je fus retenu ensuite par les hommes de De Craon ; bien sûr, l’entrevue fut loin d’être amicale et les Français auraient pu me poursuivre. Mais ils ne l’ont pas fait. Je suis retourné m’en assurer à cette auberge misérable et ai interrogé le tavernier. J’ai eu de la chance : il m’a affirmé que de Craon et ses compagnons n’avaient quitté le bouge que des heures plus tard. A ce moment-là, l’attaque avait déjà eu lieu et je me trouvais dans l’abbaye. Oh ! vous avez été fort astucieux, Messire Benstede. Vous m’avez lancé sur plusieurs pistes, comme si j’étais un stupide chien de chasse : de Craon, Lord Bruce, tous ceux qui vous venaient à l’esprit. C’est vous qui avez attenté à ma personne et, pour écarter les soupçons, vous avez prétendu être, vous aussi, l’objet de tentatives d’assassinat. C’est vrai, n’est-ce pas ?
Benstede se redressa, blême de rage.
— Vous ne comprenez pas ! s’écria-t-il. Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour le bien du royaume d’Angleterre. L’Écosse a besoin d’ordre et de lois. Ce pays est une menace pour la sécurité et la sérénité de notre souverain. Pouvez-vous imaginer une princesse française sur le trône d’Ecosse ? Et notre roi Édouard constamment obligé de se garder devant et derrière pour voir d’où viendrait l’attaque ? Vous avez entendu parler de ce nouveau roi français qui marie ses enfants à toute l’Europe. Il a l’intention de fonder un empire qui éclipsera celui de Charlemagne. Quelle marge de manoeuvre cela laissera-t-il à Édouard ? Vous avez parcouru ce pays. Vous avez constaté sa violence et vu à quel point nos comtés du Nord y seraient exposés. Ce serait dix, vingt fois pire s’il y avait alliance entre des Français qui nous seraient hostiles et des Écossais non moins hostiles. Si notre souverain se trouvait dans le Sud, l’attaque viendrait du nord, et lorsqu’il marcherait vers le nord, les Français attaqueraient nos côtes de la Manche. J’ai agi comme je le devais pour sauvegarder des intérêts supérieurs. Si quelques individus meurent pour sauver la vie de milliers d’autres, où est le mal ?
Corbett hocha la tête.
— Comme moi, Messire Benstede, vous avez étudié la philosophie. La fin ne justifie pas les moyens. Oui, j’ai vu cette contrée. Je suis d’accord avec le fait qu’un roi’écossais ennemi constituerait une sérieuse menace pour la sécurité de l’Angleterre, mais j’ai aussi noté l’immensité du pays, ses tourbières, ses marécages, ses montagnes, ses vallées encaissées qui engloutiraient les armées anglaises et les anéantiraient. Mais même si vous avez raison, Benstede, cela
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