La couronne dans les ténèbres
où le plateau s’incline vers la plage, vous avez attaché une corde et vous vous êtes tapis dans les buissons de l’autre côté du sentier. Vous avez attendu longtemps, dans le froid et l’humidité, mais finalement le roi est arrivé.
— Sottises ! l’interrompit Benstede. Comment savoir que le roi viendrait sans escorte ? Comment le voir dans le noir ? Comment le distinguer de l’un de ses écuyers ?
— Oh, très simplement ! répliqua Corbett. Les nuits en mars sont très obscures sur Kinghorn Ness, de toute façon, qu’une violente tempête fît rage était un avantage de plus. L’escorte d’Alexandre ? Vous connaissiez fort bien les habitudes du roi : il emmenait deux ou trois hommes au plus avec lui. Un de ses écuyers, Patrick Seton, est bien passé sur le sentier, mais sa monture n’est pas tombée dans le piège parce que la corde gisait sur le sol. Lorsque apparut Alexandre, galopant à bride abattue, vous ou votre serviteur Aaron avez tendu la corde. Le cheval lancé à toute allure a simplement trébuché et chuté dans l’abîme, entraînant le roi.
Corbett poussa un profond soupir et regarda par l’étroite fente de l’unique fenêtre.
— Bien sûr, continua-t-il, vous n’avez eu aucune peine à voir le roi. Il arrivait dans la nuit noire, certes, mais sa monture était blanche. Vous aviez veillé à ce que la jument amenée par le sénéchal au port d’Inverkeithing fût de couleur claire !
— Et comment aurais-je pu arranger cela ? dit Benstede d’une voix narquoise. Je n’ai pas le pouvoir de donner des ordres aux membres de la Maison du roi Alexandre.
— Exact, répliqua Corbett. Mais vous avez utilisé les services de Taggart, l’autre passeur, qui vous a fait traverser le Firth of Forth. Il vous a pris pour un Français et c’est sous cette identité que vous avez opéré de l’autre côté du Firth of Forth. Je sais que Taggart vous a emmené à Kinghorn le matin du 18 mars ; vous prétendiez être français, mais aucun Français n’est arrivé au manoir ce jour-là. En revanche, un courrier anonyme s’est présenté pour annoncer la venue du roi et demander que le sénéchal amène à Inverkeithing la jument blanche, Tamesin, la préférée du roi.
— Mais ce message ! l’interrompit Benstede. Jamais je n’aurais pu contrefaire une lettre...
Il n’acheva pas sa phrase, comprenant son erreur.
— Je n’ai pas précisé que c’était une lettre, répliqua rapidement Corbett, mais oui, c’est une lettre qu’on apporta, un faux, ce qui n’est guère difficile à réaliser pour un clerc expérimenté. Je suppose que c’est vous ou Aaron qui l’avez remis à la porte du manoir ! Quoi qu’il en soit, poursuivit Corbett, vous vous êtes assuré que ce serait Tamesin, la jument blanche, qui serait amenée au roi. Sur une telle monture, le roi serait une cible facilement repérable sur le fond noir du ciel. Et donc, après sa chute, vous avez détaché la corde et êtes revenus en hâte là où vous attendait la barque de Taggart, qui vous a fait retraverser le Firth of Forth. Quand il eut fini, vous l’avez assassiné, tous les deux, en lui maintenant la tête sous l’eau. Après quoi, vous avez tiré à terre et amarré son embarcation pour faire croire que Taggart n’avait pas bougé de la nuit et vous êtes retournés à Édimbourg. Dans la confusion du lendemain matin, personne ne prêta attention à vos allées et venues.
Corbett remarqua que Benstede se mordillait nerveusement la lèvre inférieure.
— Il n’y avait aucune raison, reprit-il, de vous soupçonner. Vous avez été probablement ravi d’apprendre qu’Erceldoun avait été désarçonné, mais vous devez avoir eu peur lorsque Seton a commencé à divaguer et à parler d’ombres sur Kinghorn Ness. Peut-être le jeune homme avait-il aperçu quelque chose ? Peut-être allait-il retrouver ses esprits et se mettre à poser des questions ou à faire des déclarations ? Alors, vous l’avez assassiné, lui aussi.
— Mais comment, cria presque Benstede, comment l’aurais-je tué ? Il ne quittait jamais sa chambre. On n’a retrouvé aucune marque de violence sur son corps.
— Vous lui avez envoyé des cadeaux, répliqua Corbett, des pommes et une paire de gants.
— Vous n’êtes pas en train de dire que la nourriture était empoisonnée, n’est-ce pas ? ironisa Benstede.
— Je sais que les fruits ne l’étaient pas. Erceldoun a probablement mangé
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