La couronne de feu
publique la lettre que, quelques jours auparavant, le duc d’Alençon avait adressée aux notables, leur enjoignant de se soumettre et leur promettant que ne se reproduiraient pas les atrocités commises par les Armagnacs.
Comme le comte de Montmorency une heure avant, les religieux laissaient libre cours à leur ressentiment : il eût suffi d’un peu de persévérance pour que l’opération tentée par la Pucelle fût couronnée de succès.
– Je vous sais gré de votre action, bredouilla Charles, et je regrette que la nôtre ait dû s’interrompre, mais mon Conseil en a jugé autrement. Il a redouté que l’entrée de nos troupes dans la capitale n’entraînât massacres et pilleries. Les querelles entre Armagnacs et Bourguignons ont laissé des traces sensibles. Mieux valait attendre que le duc Philippe nous livrât la ville.
Les religieux, point dupes de ces arguments fallacieux, se concertèrent du regard et se retirèrent sans un mot.
Averti de la venue du comte d’Armagnac et de sa suite, le roi avait haussé les épaules et soupiré : ils venaient trop tard à la rescousse et d’ailleurs ce renfort n’eût pas été d’un grand secours. On ne reviendrait pas sur ce qui avait été décidé. Il se leva, s’éloigna d’une allure chancelante dans la galerie. Il y retrouva Gaucourt, Regnault et, tassé sur son escabeau, La Trémoille qui jouait nerveusement avec la relique de Giac pendue à sa poitrine.
Sur les derniers mots de Charles, Jeanne, tournée vers d’Alençon, avait murmuré :
– Ne pas revenir sur cette décision ? Voire...
– Que veux-tu dire ?
– Quelques-uns de nos capitaines sont soulagés de cette issue mais la plupart sont tout disposés à reprendre les armes. Nous allons les rassembler, leur demander de revenir à la tâche. Il faudra tâter le terrain du côté de la rive gauche. C’était ton idée, il me semble ?
– Mais, Jeanne, le pont de bateaux a été dispersé et le Conseil a décidé de la retraite. Nous ne pouvons aller contre sa volonté !
– L’avis du Conseil, je m’en moque comme d’une guigne : Quant au pont de bateaux il reste à confirmer sa disparition.
– C’est pure folie !
– Il se peut, mais la sagesse consiste parfois à se montrer un peu fou. D’ailleurs mes voix m’ont assuré que rien n’était perdu. Si tu refuses de me suivre je partirai seule avec un détachement. J’en connais qui me suivront sans barguigner !
– Tu sais bien que je ne t’abandonnerai pas moi non plus, quoi que tu fasses, où que tu ailles !
Le lendemain matin, alors que le gros de l’armée, suivie par le roi et les membres du Conseil, se repliait sur Senlis, Jeanne et quelques-uns de ses compagnons, bannière au vent, contournèrent la Butte des Moulins dominant le Marché aux Pourceaux, arrivèrent, passé les Tuileries, sur la berge de la Seine faisant face à la Grenouillère et au Pré-aux-Clercs. Ils constatèrent qu’à part quelques barques de pêcheurs, aucun pont de bateau ne subsistait.
– Qu’importe ! dit Jeanne, nous allons reconstruire ce pont. Il nous faudra du temps, mais nous y parviendrons.
C’était l’avis de La Hire que les entreprises les plus hardies ne prenaient jamais de court ; ce n’était pas celui d’Alençon et des autres capitaines. Jeanne laissa éclater son courroux, traita ses compagnons de pleutres, de lâches, sans parvenir à les fléchir.
– Jeanne, dit le vieux Boussac, il faut être raisonnable. Si nous t’avons suivie aujourd’hui c’est parce que nous t’aimons et que nous refuserions de te voir t’exposer seule dans cette aventure. En admettant que nous puissions reconstituer ce pont de bateaux, ce n’est pas avec une poignée d’hommes que nous pouvons prétendre conquérir Paris !
– Hommes de peu de foi, s’emporta-t-elle, retirez-vous puisque telle est votre volonté ! Dieu merci, nous aurons d’autres occasions de nous battre...
4
Le ressort brisé
Gien, La Charité, automne-hiver 1429-1430
Lorsque le détachement mené par Jeanne arriva à Saint-Denis, le reste de l’armée avait pris les devants. On ne resta dans cette localité que le temps de se sustenter et de se rafraîchir pour reprendre la route.
Avant de quitter la nécropole des rois il restait à Jeanne un dernier acte à accomplir. Accompagnée de l’abbé elle pénétra dans la basilique, se fit dépouiller de son harnois par Louis de Coutes pour l’offrir en ex-voto à l’abbaye.
Alors qu’elle
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