La couronne de feu
l’espèrent mes ennemis.
– J’en suis fort aise, ma fille. Quelques bonnes nuits de sommeil et vous retrouverez votre force et votre énergie. Certains affirment que vous avez une nouvelle fois fait preuve d’héroïsme, d’autres que vous vous êtes montrée trop imprudente. Je partagerais volontiers l’avis de ces derniers. Je vais demander que l’on vous fasse transférer au camp de La Chapelle où vous serez en sécurité, puis à Saint-Denis où vous pourrez vous reposer.
Elle riposta avec vivacité :
– Pardonnez-moi, monseigneur ! Je préfère ne pas bouger, de manière à être à pied d’oeuvre pour reprendre ma tâche dès demain.
La Trémoille toussa d’un air embarrassé avant d’ajouter :
– Jeanne, il faut être raisonnable. Je me suis expliqué tout à l’heure, et de manière fort raide, avec Sa Majesté en lui reprochant d’avoir agi trop hâtivement et compromis à la fois la paix à laquelle nous aspirons tous et la soumission de cette ville que le duc Philippe a promis de nous restituer.
Dressée sur ses coudes, réprimant une grimace de douleur, Jeanne lui jeta :
– Dites-vous bien qu’il n’y aura de paix dans ce royaume que lorsque les Anglais retourneront en Angleterre ! Quant à la remise de Paris par Philippe, il faut être bien naïf ou très finaud pour y croire !
Un grognement profond comme un borborygme roula dans la gorge de La Trémoille. Il gratta furieusement ses genoux et parut se maîtriser pour ne pas laisser éclater sa colère.
– Ma chère enfant, dit-il, votre mission est de soutenir par les armes notre roi. Notre rôle à moi et au Conseil royal est de mener des négociations et de ne faire appel aux armes qu’en dernière extrémité. En arrachant à ce pauvre Charles l’autorisation d’attaquer Paris vous brouillez les cartes !
– Il n’y a qu’une apparence de bon sens dans ce jugement, riposta la Pucelle. Mon bon sens à moi m’est dicté par mes voix. À ce jour elles ne m’ont pas trompée !
La Trémoille arrêta net l’éclat de rire qui lui montait aux lèvres et reprit en postillonnant :
– Ah ! j’oubliais... Vos voix... Il semble évident à vos yeux que les avis du roi, de son Conseil, les miens propres ne comptent guère devant elles ! L’ennui, Jeanne, c’est que, ces voix, vous êtes seule à les entendre et que vous pourriez être tentée de les interpréter à votre façon.
Il se raidit pour ajouter :
– Quoi que vous en pensiez, ma chère fille, la fête est terminée. Demain l’armée se retirera. Il était temps de mettre un terme à cette opération mal préparée, qui se révèle calamiteuse. Et quelle est cette idée stupide de prétendre attaquer Paris par la rive gauche ? Un pont de bateaux aurait été inutile. J’ai d’ailleurs donné l’ordre de le démonter...
– Vous avez osé ! hurla Jeanne. De quel droit ? Seriez-vous, par miracle, devenu chef d’armée ? Vous nous privez d’une chance de victoire ! Votre grand ami Philippe va vous bénir !
– J’ai donné cet ordre en accord avec Sa Majesté et votre alter ego le duc d’Alençon. Il faut en prendre votre parti, ma petite Jeanne, et mettre l’arme au pied. D’ailleurs vous avez besoin d’une longue convalescence.
Deux valets l’aidèrent à se lever, placèrent les potences sous ses aisselles. Il désigna l’épée nue placée au pied du grabat, demanda d’où elle provenait.
– Prise de guerre ! répondit Jeanne. Je la tiens d’un capitaine bourguignon que Gilles a capturé sur le boulevard où il faisait la bravade. C’est une belle arme. Je compte bien m’en servir longtemps encore, que cela plaise ou non...
Surprise de l’armée, le lendemain matin, en voyant la Pucelle de nouveau à cheval, Louis de Coutes tenant le mors, bannière déployée. Certains la croyaient invalide pour des semaines, d’autres assuraient qu’on leur cachait sa mort. Et voilà qu’elle surgissait, bien droite sur sa selle, souriante, sa cuisse gonflée d’un gros pansement.
Le premier à marquer de l’étonnement fut Gilles.
– Jeanne, dit-il, cette blessure...
– ... n’est pas plus grave que celle d’Orléans : une égratignure.
– Vous ne comptez tout de même pas reprendre la bataille ?
Elle cessa de sourire, soupira :
– Il n’y aura pas de bataille, Gilles. Ainsi en ont décidé les pleutres et les traîtres qui nous gouvernent. Nous allons retirer nos compagnies, notre artillerie, notre matériel de siège et nous
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