La couronne de feu
chevauchait en direction de Senlis, Poton de Xaintrailles lui dit :
– J’ai l’impression que Charles fait la tête. Pourquoi ? Je l’ignore. Il devrait être heureux que les avis de son Conseil aient prévalu sur les tiens.
– Charles, ajouta Jean d’Alençon, a des comportements étranges. Il accepte volontiers qu’on l’aide mais, dès que les personnages qui s’y risquent prennent trop d’importance et lui portent ombrage, il les abandonne ou les renie. Aussi sûr qu’une branche pourrie... Jeanne, tu lui as rendu des services inestimables mais tu en as trop fait à son goût. Il t’en veut et te prépare une belle retraite, avec les honneurs. Ce n’est pas vraiment un ingrat, mais il se dit que le temps des miracles est révolu.
Une triste nouvelle attendait Jeanne à Senlis : le Seigneur de l’Ours, cet aubergiste qui avait favorisé la subversion des Parisiens, venait d’être arrêté. Alors que Jeanne se battait devant la porte Saint-Honoré, une dénonciation révélait à la Prévôté du Châtelet le complot qui se tramait dans l’auberge de la rue Saint-Antoine. Alors que les rebelles y tenaient une réunion, les sergents du guet avaient fait irruption et pris dans leurs filets quelques gros poissons. Mis à la question certains avaient craché le morceau.
– Les malheureux !... s’exclama le duc Jean. Leur compte est bon : un séjour à la Bastille ou au Châtelet, un jugement vite expédié et ils iront nourrir les corbeaux de Montfaucon...
– Dieu les garde ! dit Jeanne. Que pourrions-nous faire pour les délivrer ?
Jean haussa les épaules avec un air de découragement. On ne pouvait rien faire, hélas, pas plus que pour le père d’Allée, prieur des carmes de Melun, qui venait d’être emprisonné avec quelques acolytes. Rien, sinon prier pour le salut de leur âme.
Jeanne apprit de même, à son grand déplaisir, que, quelques jours après son départ de Saint-Denis, la soldatesque anglaise avait réoccupé la cité, fait irruption dans le monastère et la basilique, malmené l’abbé soupçonné de connivence avec l’ennemi et commis une ignominie : ils avaient décroché de la muraille les ex-voto de la Pucelle pour les rapporter triomphalement à Paris. Elle se dit qu’aucune humiliation ne lui serait épargnée.
Tandis que l’armée du Sacre se regroupait dans la prairie de Montepilloy en attendant le repli annoncé sur la Loire, Jeanne constata chez le roi un phénomène singulier : alors qu’une trêve avait été décidée jusqu’à Noël, il semblait en proie à une agitation inhabituelle, chevauchant des heures chaque jour, jetant des ordres avec une autorité de capitaine, s’exerçant aux armes. L’énergie qui avait déserté la Pucelle semblait s’être retrouvée en lui. On aurait dit qu’après avoir été reconnu roi, il eût la volonté de le devenir vraiment. Après avoir boudé Jeanne il lui faisait des grâces. Il lui disait :
– Jeanne, tu as connu un échec sévère devant Paris et tu as échappé de peu à la mort. J’y vois un signe : tu dois prendre un peu de repos en attendant que nous te mettions de nouveau à la tâche, si Dieu le veut.
Alors que le roi parlait de repos, Jeanne entendait trahison. Ce mot la harcelait depuis qu’elle avait appris les termes du traité d’Arras qui n’avait pour but que d’endormir le pauvre Charles et de lui réserver des réveils brutaux. Cette hantise était devenue une certitude.
– Et maintenant, sire, dit-elle, qu’allons-nous faire ?
Il toussa pour cacher sa gêne, rougit, bredouilla :
– Euh... nous replier sur Gien et, euh... licencier cette armée.
– Notre belle armée du Sacre...
– Il n’y a rien d’autre à faire. Si cette armée n’a pas eu à livrer bataille, du moins a-t-elle montré à nos adversaires que nous ne sommes pas disposés à plier le genou devant leurs exigences. Ce fut une belle démonstration de force...
Jeanne n’osa lui demander ce qu’il entendait par adversaires (il n’avait pas dit ennemis), mais il était clair qu’il songeait aux Anglais plus qu’aux Bourguignons en passe, semblait-il, trêve après trêve, de se rapprocher de lui. Une grosse naïveté de plus à la charge du souverain, à un moment où Philippe venait d’être nommé lieutenant général par le roi d’Angleterre ! Trahison... Bedford, d’autre part, venait de faire au connétable de Richemont des promesses mirifiques afin de le détacher de Charles.
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