La couronne de feu
tirer au large.
– Si tu t’imagines, bougonnait Pierre, que Flavy, Regnault ou même ton ami Baretta ont prévu de voler à ton secours, tu te fais des illusions ! Tes Piémontais te demeuraient fidèles dans la mesure où tu pouvais les solder sur tes propres deniers. Ta bourse vide, toi disparue, ils t’oublieront vite !
Jean se dit qu’il y avait de l’incohérence dans le comportement de sa maîtresse : elle avait accepté sa capture comme un décret du Ciel et elle ferait tout pour se libérer...
Un soir, sous un dernier orage de printemps qui les mouilla jusqu’aux os, ils parvinrent dans un petit village de masures sordides tassées au pied d’une butte surmontée d’un château. Le capitaine qui conduisait la caravane leur annonça qu’ils se trouvaient à Beaulieu-en-Vermandois 1 . Pour combien de temps ? Il n’en savait rien.
De la forteresse couronnant la butte seul émergeait un donjon à huit pans. Située entre les voyères d’Avricourt et d’Ognolles, les localités les plus proches, elle était entourée d’un fossé que l’on franchissait par un pont-levis défendu par une redoute triangulaire armée de couleuvrines. Elle avait été jusqu’à l’année passée la propriété de Jean de Saint-Maure qui l’avait défendue au nom du roi Charles contre Jean de Luxembourg, lequel l’avait enlevée et en avait chassé les occupants.
Pour les trois prisonniers les conditions de captivité auraient pu être pires.
Ils avaient, dans l’enceinte de la forteresse, pleine liberté de mouvement et faisaient bon ménage avec les serviteurs de l’ancien propriétaire. Les derniers jours de mai accablaient le pays d’une chaleur oppressante mais, au soir tombant, il montait de la forêt une fraîcheur salutaire.
Jeanne passait des heures dans la chapelle castrale située à la base du donjon, en tête à tête avec une statue de facture grossière, taillée à la serpe dans du bois de charme, représentant la patronne du moutier voisin : sainte Catherine. Elle recevait là le même message à chacune de ses génuflexions : prendre tout en gré, autrement dit attendre les événements en évitant de se faire des idées noires. Ce n’est pas la réponse qu’elle eût aimé entendre de sa sainte favorite, mais plutôt l’annonce de sa libération. Elle se dit que Charles devait avoir engagé des pourparlers pour régler sa rançon et celle de ses deux compagnons, qu’il ne pouvait en être autrement, qu’il lui devait bien ce sacrifice. Quant à espérer une délivrance par une attaque des gens de Compiègne, elle jugeait la chose improbable : la forteresse était trop bien gardée.
De même elle savait qu’elle ne pourrait attendre le moindre secours du curé ou des religieux de Sainte-Catherine qui venaient parfois lui rendre visite : ils faisaient mine de compatir à ses épreuves, écoutaient ses confessions d’une oreille distraite, lui donnaient la communion comme s’ils lui consentaient une faveur. Leur demandait-elle des nouvelles de Compiègne, elle se heurtait à des silences gênés.
Chaque matin elle montait jusqu’à la terrasse du donjon d’où elle avait sur la forêt et les campagnes environnantes délicatement vallonnées une vue profonde. Elle s’était fait indiquer par un gardien la direction approximative de Compiègne : plein sud, avec un léger décrochement vers le couchant. Elle s’asseyait entre deux merlons, les jambes dans le vide, regardant vers la direction indiquée jusqu’à ce que son regard se brouillât, comme dans l’attente d’un signe qui l’eût rassurée sur l’événement qu’elle espérait : la levée du siège et la retraite des troupes de Philippe.
Elle confia à Jean d’Aulon qu’elle supportait de plus en plus mal cette captivité et que, si elle se prolongeait, elle tomberait malade. Elle lui demanda s’il consentirait à l’aider si elle entreprenait de s’évader.
– Cela me paraît impossible ! dit-il, mais c’est un mot qui perd son sens appliqué à vos décisions. Nos gardiens sont vigilants. Ils savent qu’ils risquent leur vie au cas où vous parviendriez à vous évader. Pour franchir ces remparts il faudrait avoir des ailes. Néanmoins, si vous avez une idée je vous aiderai.
Il proposa de mettre Pierre dans la confidence ; Jeanne s’y opposa : elle n’avait en son frère qu’une confiance limitée ; ivre, il aurait pu révéler le pot aux roses.
– À supposer que vous trouviez un moyen de quitter
Weitere Kostenlose Bücher