La couronne de feu
cette place, dit l’intendant, je ne vous suivrai pas. J’attends de ma famille qu’elle rassemble les fonds nécessaires au paiement de ma rançon, et je sais qu’elle s’en préoccupe. Il n’en va pas de même pour vous : votre condition de chef de guerre vous autorise une évasion. C’est même d’une certaine façon un devoir pour vous.
– Rien ne me l’interdit, en effet, puisque je n’ai pas donné ma foi. Je comprends vos réticences. Le cas échéant j’agirai seule. D’ailleurs j’ai déjà mon idée...
Un matin, alors que l’équipe des gardiens achevait sa nuit dans la salle d’armes en jouant aux cartes et que trois ou quatre autres somnolaient sur le chemin de ronde dans la fraîcheur du matin, Jeanne se saisit de deux planches trouvées dans une resserre, les posa sur ses épaules et traversa la cour sans se faire remarquer. Elle passa près du puits où une servante remontait de l’eau, sans éveiller son attention. Pour accéder au chemin de ronde elle choisit un endroit qui lui paraissait désert, avec l’idée de sauter dans les buissons qui bordaient le fossé et d’aller se cacher dans la forêt.
En débouchant sur le chemin de ronde elle eut un recul : un garde en train de chauffer ses jambes au soleil se leva et s’avança vers elle en lui demandant où elle se rendait et ce qu’elle comptait faire de ces planches. Elle bondit dans un créneau et s’apprêta à sauter dans le vide quand le garde la rattrapa par la ceinture et l’obligea à descendre de son perchoir.
– Eh là ! mon bel oiseau, dit-il en la maintenant sous lui, tu t’apprêtais à prendre ton vol ?
Elle se débattit, tenta de lui arracher son poignard, le mordit au poignet. Il dut la rouer de coups pour la maîtriser et la reconduire à demi inconsciente dans sa cellule.
– Si tu avais dessein de nous échapper, ironisa le capitaine, tu te faisais des illusions. Tu aurais pu sauter dans le fossé, chercher refuge dans la forêt, nous t’aurions retrouvée. Mes hommes connaissent la contrée comme leur poche.
Elle répliqua avec un air de provocation :
– Ce n’est que partie remise ! Ce que je décide, je le fais toujours.
– Renouveler ton exploit tant que je serai là ? N’y compte pas, ma belle ! Tu connais le souterrain situé sous la chapelle ? C’est là que tu seras enfermée et, à moins de provoquer un miracle comme de faire tomber les grilles et s’écarter les murs, tu n’en sortiras pas !
Le capitaine lui avait annoncé un traitement rigoureux : il le fut au-delà de ce qu’elle redoutait.
Le souterrain dans lequel on l’enferma, derrière une forte grille, était en fait une ancienne crypte dont subsistait seul un autel de pierre et qui prenait jour par un soupirail. Sur le sol dallé de briques on avait posé sa paillasse et une couverture. On lui apportait sa nourriture deux fois par jour et on ne la faisait sortir que pour ses besoins encadrée de deux soldats armés. De ses deux compagnons, pas de nouvelles. Solitude et silence ; interdiction faite aux gardiens de lui adresser la parole. Chaque soir elle gravait un trait sur le mur. Les jours se succédaient sans que rien survînt de ce qu’inconsciemment elle espérait encore.
Elle se sentait mourir à petit feu.
1 - Aujourd’hui Beaulieu-les-Fontaines (Oise), entre Noyon et Nesle.
Bourges, début juin 1430
La nouvelle parvint à Charles alors qu’il assistait à une fête dans un quartier populaire de Bourges. C’est le Gros Georges qui la lui souffla à l’oreille, mais assez fort pour dominer le tumulte des tambours, des fifres et des musettes qui s’en donnaient à coeur joie autour d’une ourse enchaînée par les narines et qui refusait de danser malgré les coups.
– Que me dites-vous là, Georges ? Jeanne... captive ?
– Prise devant Compiègne, sire, par les hommes de Jean de Luxembourg.
Charles attendit la fin du spectacle pour quitter la tribune, chancelant au point qu’un écuyer dut l’aider à monter en selle. Tout tanguait autour de lui ; il ressentait la même émotion que huit ans auparavant, lorsque le parquet de l’évêché, à La Rochelle, s’était effondré.
Il avait donné à la Pucelle l’autorisation de s’engager dans cette expédition en direction de Compiègne pour deux raisons : elle saurait soutenir l’ardeur des défenseurs, ce qu’il ne pouvait faire lui-même, cette ville étant comprise dans le traité signé avec Philippe ; d’autre part il voyait
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