La couronne de feu
été victime d’une sorcière et que son sacre n’est pas valable. Ce pauvre Charles, comme vous l’avez berné ! Il doit se reprocher de vous avoir fait confiance.
– Vous êtes une mauvaise femme ! protesta Jeanne. Dieu vous punira pour vos mensonges.
– C’est vous d’abord qu’il punira, insolente que vous êtes ! Sorcière.
Jeanneton lui fit écho en chantonnant :
– Oh ! la sorcière ! la sorcière !
La solitude pour Jeanne se fit plus pesante. Son intendant l’avait aidée à supporter sa captivité par sa présence constante, ses soins, ses attentions et sa bonne humeur. Lui parti, les murs du souterrain où on l’avait enfermée lui parurent plus épais, le froid et l’humidité de novembre plus pénibles à supporter. Elle en venait à souhaiter que son transfert se fît rapidement, sans de sa part l’ombre d’une illusion : elle ne retrouverait jamais sa chère liberté.
On ne la fit pas attendre longtemps.
Un matin, une semaine environ après le départ de l’intendant, trois gardiens pénétrèrent dans sa cellule pour l’emmener, en lui liant les mains. Que lui voulait-on ? Qu’allait-on faire d’elle ? Elle n’obtint pas de réponse. On la hissa sur une mule et on lui attacha les pieds par une courroie passant sous le ventre de sa monture.
Flanquée de Jeanneton, la dame assista sans un mot aux préparatifs du transfert. Au moment où l’escorte s’ébranlait, elle fit à la prisonnière un signe de la main et, avec un sourire narquois, lui lança :
– Bon voyage, la sorcière ! Que le diable t’emporte !
Jeanneton ramassa une pierre et l’envoya vers Jeanne ; elle heurta la croupe de la mule qui fit un écart, au risque de désarçonner la Pucelle. Le capitaine anglais qui commandait l’escorte le prit très mal.
– Toi, petite, estime-toi heureuse que je ne vienne pas te tirer les oreilles. Quant à vous, madame, votre conduite est indigne. Un mot de plus et je lâche mes hommes dans votre bicoque.
Il prit la tête du cortège et leva un bras pour donner le signal du départ.
Tout laissait à penser que l’on avait pris la route de l’Angleterre.
L’escorte avançait plein ouest, une direction que Jeanne pouvait repérer en se fiant au soleil. Elle avait espéré qu’on la conduirait à Paris où sa présence aurait pu susciter un mouvement de population capable d’infléchir le jugement de son tribunal. Elle avait appris de son intendant, lequel tenait cette nouvelle d’un gardien accommodant, que le tribunal serait présidé par l’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon. Cauchon... Cochon... Elle imaginait ce juge sous l’apparence d’un gros verrat châtré fouillant du grouin dans la gadoue et le fumier.
La mi-novembre déployait sur l’espace infini des plaines sa cavalcade de nuages gorgés de pluie et de neige qui croulaient parfois en rafales, rendant la marche pénible et difficile.
On trouva à se loger à Bapeaume dans la demeure d’un négociant en lainages des Flandres. Les soldats se partagèrent les places disponibles ; Jeanne coucha à la paillade avec deux gardiens, enchaînée à une poutre.
L’étape suivante était Arras. Prévenue de son arrivée, la foule attendait la Pucelle devant le châtelet proche de l’église Saint-Jean-Baptiste, sous la pluie battante ; malgré l’encouragement des soldats de la garnison à la huer et à la lapider, elle ne lui témoigna qu’une curiosité dépourvue d’hostilité.
Jeanne eut, ce soir-là, un bon lit et un repas copieux. Le lendemain, avant le départ, elle demanda à se rendre à la cathédrale et à s’entretenir avec les moines de Saint-Wast. Faveur refusée : on n’avait pas de temps à perdre.
On quitta Arras sous la pluie, par un chemin transformé en bourbier par le récent passage d’une troupe de Bourguignons traînant un convoi de chariots et de boeufs. En cours de route, une tempête de neige força le capitaine à faire étape plus tôt que prévu dans la petite cité de Lucheux, endormie sous le brouillard et la fumée. On quitta la bourgade dans un matin de fin de monde, figé dans un froid et un silence de banquise, en direction de Drugy où l’escorte trouva à se loger dans une demeure ouverte à tous les vents, proche de l’abbaye de Saint-Riquier. Les religieux, apprenant la présence de Jeanne, demandèrent à lui être présentés, ce qui leur fut refusé. Un raid récent de routiers n’avait laissé de vivant qu’une ou deux familles terrées
Weitere Kostenlose Bücher