La couronne de feu
le tabellion, vous êtes un magicien. Parvenir à prouver que le blanc est noir et que vous pouvez changer l’eau en vin tient du miracle. Je dirais même, si j’osais, que c’est...
– ... diabolique ? Eh bien, dites-le ! Il faut savoir dans certains cas difficiles faire alliance avec Satan. Je vais remettre ce rapport... travesti à maître Jean d’Estivet afin qu’il en compose, article par article, un chef d’accusation irréfutable. Un dernier mot : oubliez cet entretien si vous ne voulez pas que je vous tienne pour un mauvais homme, un falsificateur, et que je vous traîne devant mon tribunal !
Rouen, janvier 1431
Il arrive sur la pointe des pieds, comme s’il redoutait de troubler le sommeil de la prisonnière, pose son auge qui sent le mortier frais, y jette la truelle qu’il portait à la ceinture et s’assied à même le sol, au chevet du grabat où repose Jeanne.
À sa première visite elle s’est montrée surprise et méfiante : par quelle faveur particulière avait-il pu pénétrer dans sa cellule ? Que lui voulait-il ? Il lui a répondu en plaisantant :
– Je suis une sorte de magicien. Il n’y a pas de murs et de murailles que je ne puisse traverser. Je puis me rendre invisible, me tenir près de toi sans que tu soupçonnes ma présence, sauf peut-être à l’odeur du mortier.
Comme elle fronçait les sourcils il a ajouté avec un bel éclat de rire révélant une denture de jeune fauve :
– Je te raconte tout ça pour te divertir. Tu ne dois pas avoir beaucoup d’occasions de rire...
– En effet, c’est très rare.
Il lui a révélé son identité : Pierre Cusquel. Un Normand de pure souche à en croire son teint de lait saupoudré de son, sa tignasse raide et frisée, son oeil bleu et son accent. Il est apprenti au service du maître maçon du château, Jean Salvart. Ses fonctions lui donnent accès à tous les bâtiments de la forteresse, son auge et sa truelle lui servant de viatique.
– Je suis ici, dit-il, pour faire mon inspection, voir s’il n’y a pas quelque méchante lézarde à obturer.
Un jour il a ajouté à voix basse en faisant mine de jointoyer deux moellons :
– Prends garde, Jeanne : ces murs ont des oreilles. J’ai entendu dire que tu parlais trop, que tu faisais des confidences à tort et à travers. Tu dois cesser. Tout ce que tu dis, à qui que ce soit, est rapporté au gouverneur et à l’évêque chargé d’instruire ton procès. Un mot malheureux pourrait suffire à te faire condamner. Alors, motus !
Constatant que les gardiens les épiaient par la porte entrebâillée, il s’est mis à chantonner en maniant la truelle. En partant il lui a dit :
– Encore un mot : les Godons ont une frousse terrible d’un coup de main de tes anciens compagnons. J’ai entendu dire qu’un certain Dunois vient de prendre Louviers. Il semble que ce ne soit pas pour un pèlerinage à Notre-Dame...
– Louviers ?
– C’est à moins d’une journée de cheval de Rouen. Le dénommé Dunois y a été rejoint par un certain La Hire et y attend un nommé Gilles de Rais ou de Retz. Ils y ont de la troupe. Je ne voudrais pas te donner trop d’espoir, mais...
La porte s’est ouverte sur William Talbot. Il a lancé à l’apprenti maçon :
– Finie la parlotte ! Tu files avec ton auge et ta truelle, sinon je te botte le cul !
La dernière apparition de Pierre Cusquel et sa mise en garde ne furent pas inutiles pour Jeanne : elle devait convenir qu’elle se laissait aller volontiers, et avec n’importe qui, sinon à des confidences, du moins à des propos dangereux. Elle acquit la certitude que chacun de ses visiteurs était choisi en fonction de ses capacités à trahir sa confiance.
Il était venu un peintre nommé Herbert, qui prétendait faire son portrait avec ses armoiries.
– Mes armoiries, dit-elle, ce sont mes frères qui les portent. Moi je n’ai pas cette fatuité, encore que ce geste de gratitude de la part de mon roi m’ait touchée. Quant à mon portrait, à quoi bon ? Je ne suis pas un assez grand personnage...
Il tenait surtout à la faire parler de ses armoiries, à la faire commenter leurs symboles, soucieux d’en tirer quelque enseignement pour le procès. Elle ne lui en avait dit que ce qu’elle savait, en oubliant quelques éléments. Elle se souvenait que ces armoiries étaient traversées d’une longue épée.
– Une épée ? voilà qui est intéressant. Vous en êtes-vous souvent servie sur les champs de bataille ?
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