La couronne de feu
Combien de soldats ennemis avez-vous tués ?
Elle lui avait répondu avec humeur que cette arme n’avait servi qu’à chasser les ribaudes de l’armée et n’avait tué personne. Il avait insisté : était-ce l’épée de Fierbois ou celle qu’elle avait prise à un Bourguignon devant Paris ?
Elle refusa de répondre et le faux peintre repartit bredouille.
À quelque temps de là Jeanne eut une visite qui la surprit et la réconforta : celle du jeune chevalier Aimond de Macy, son compagnon de jeux de Beaurevoir, qu’elle avait giflé lorsqu’il s’était montré trop entreprenant.
Il s’agenouilla à son chevet, lui embrassa les mains, pleura des larmes sincères en la voyant enferrée, lui promit d’intervenir auprès de Warwick, de la duchesse de Bedford, des autorités ecclésiastiques pour que sa condition fût améliorée.
– Cela ne servirait, lui dit-elle, qu’à t’attirer des ennuis et des soupçons. Contente-toi de prier pour que la mort ne me soit pas trop pénible.
Il avait bredouillé entre ses larmes des excuses pour lui avoir naguère, d’une manière brutale, témoigné l’envie qu’il avait d’elle. Elle sourit : il était pardonné.
Nicolas Loiseleur l’avait amusée durant quelques jours.
Pour la mettre en confiance, ce jeune clerc lui racontait des histoires drôles et lui faisait des confidences en espérant la réciproque.
Il lui avait expliqué qu’il était natif comme elle des marches de Lorraine, qu’il avait été capturé par les Anglais alors qu’il travaillait dans l’échoppe d’un cordonnier. Comme il n’était point sot on en avait fait un clerc. Il portait depuis peu le titre ronflant de maître ès arts et chanoine de la cathédrale de Rouen.
– Qui vous envoie ? lui demanda Jeanne.
Il protesta avec un rire gêné que seules la curiosité et la charité l’avaient poussé à s’introduire dans sa cellule et que, secrètement, il lui vouait un sentiment d’admiration.
C’était un joli garçon qui, pour être chanoine, ne s’en habillait pas moins avec une certaine recherche : il était vêtu court, avec un soupçon de coquetterie qui avait fait sourire la prisonnière. Il avait la voix suave et délicate, avec des intonations féminines. Comme il avait obtenu des houspilleurs qu’ils la libèrent de ses liens le temps de cette visite, elle lui accorda une bienveillante attention.
Il lui donna des nouvelles du roi Charles, disant qu’il ne se consolait pas d’avoir perdu son soutien, qu’il songeait à un pèlerinage à Vézelay pour obtenir sa libération, qu’il avait proposé une somme fabuleuse pour payer sa rançon, et autres sornettes...
– Tout cela, lui dit-il comme pour susciter une complicité, doit rester entre nous. Je cours un gros risque en vous informant. Il est vrai que, ces nouvelles, vos voix vous les ont déjà communiquées.
Il avait poursuivi en soupirant :
– Je vous envie, Jeanne, d’être en relation avec le Ciel, de baigner dans la grâce, d’avoir toujours au-dessus de vous le Ciel ouvert. Cela m’a toujours intrigué. Qu’en est-il de ces apparitions, de ces voix ? Pardonnez à ma curiosité, mais...
– Il n’y a pas de mystère pour moi, maître Nicolas. C’est une chose toute naturelle. Ce qui m’inquiète c’est quand mes voix se taisent.
– Si je ne suis pas indiscret, lorsqu’elles se décident à parler, que disent-elles ?
Le visage de Jeanne se ferma. Trop curieux pour être honnête, ce galopin de chanoine ! Elle lui avait rétorqué :
– Si j’avais permission de vous répondre, je le ferais volontiers. Tout ce que je puis vous dire c’est que mes voix me conseillent de me méfier des beaux parleurs et des curieux.
Il grimaça un sourire et ne put rien en tirer d’autre. Avant de la quitter il lui embrassa les mains et lui dit :
– En confidence, méfiez-vous des gens d’Église qui vont vous interroger. Si vous leur faites confiance vous êtes perdue.
Il sortit de sa courte houppelande en loup-cervier trois pommes, un pain frais et une petite gourde de vin en lui recommandant de ne rien révéler de leur provenance à ses gardiens, sinon il ne pourrait revenir.
Il revint.
Plusieurs nuits de suite, Jeanne fut réveillée par une voix suave disant qu’elle était sainte Catherine, lui demandant de parler sans contrainte et de se confesser à elle. Elle n’avait pas tardé à reconnaître en cette voix celle de Loiseleur et s’était bien gardée de lui
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