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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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office de sœur hôtelière 5 , vous mènera à vos appartements. Faites-moi l'honneur d'accepter de partager mes repas dans la galerie supérieure du réfectoire. Je m'y sentirai moins seule jusqu'à l'élection de notre nouvelle grande prieure et de sa sous-prieure, élection qui j'espère ne tardera pas.
    – L'honneur sera mien, madame ma mère. Le plaisir également.
    Plaisance accompagna la jeune femme jusqu'à la porte de son bureau. Dans l'un de ses habituels élans de chaleur, Alexia serra les mains de la jeune abbesse entre les siennes.
    – Merci tant, madame.
    En dépit du feu qui rugissait dans l'âtre du chauffoir, Rolande Bonnel, sœur dépositaire 6 , grelottait de froid. Un froid implacable qui rampait sous sa peau, sillonnait ses veines. Elle butait depuis près d'une heure sur la même page de son registre de comptes. La nausée lui montait dans la gorge, au point qu'elle était sortie à deux reprises de crainte de dégorger sur les dalles. Une envie de fuir, de se terrer n'importe où la secouait par intermittence. Elle se détestait de sa lâcheté, de son incapacité à faire face ou seulement à résister. Les histoires, les souvenirs ne meurent-ils jamais ? Les cicatrices du temps persistent-elles indéfiniment ? Elle trempa sa plume dans la corne à encre et tenta de se concentrer. En vain. Un hoquet la secoua, ramenant dans sa bouche une bile amère. Elle se rua à l'extérieur.
    Une semainière 7 d'hostellerie avait conduit Alexia vers sa chambre, précisant que sœur Marguerite la rejoindrait sous peu. Un feu bienvenu rougeoyait dans l'âtre de la pièce de taille modeste, aux murs repeints à la chaux, avec pour seuls meubles une almaire 8 de bois clair, un lit et une escame 9 . Un serviteur laïc avait monté le maigre bagage d'Alexia de Nilanay. Par courtoisie pour ses anciennes sœurs, elle avait tenu à ne s'encombrer que du minimum. Elle avait dédaigné les vêtements d'apparat, les bijoux, le nécessaire de dame d'ivoire et d'argent, cadeaux d'Aimery de Mortagne à sa future.
    Le comte, bien que les discutant pied à pied, avait admis les arguments de sa mie justifiant son désir de retraite. Toutefois, Alexia lui avait tu le plus sérieux, le peu d'estime qu'elle éprouvait envers elle-même, pour n'insister que sur le désordre de son esprit et la précipitation des événements. Sans doute Aimery de Mortagne avait-il été un peu blessé, inquiété par les atermoiements de sa dame. Il avait eu le bon sens et l'élégance de passer outre. Il redoutait plus que tout le retour du désert glacé qui avait recouvert sa vie au décès de sa bien-aimée première épouse. Depuis tout ce temps, depuis cette éternité de rongeante tristesse, seul le sourire d'Alexia était parvenu à faire reculer un peu le néant. L'idée qu'elle pourrait s'éloigner lui était intolérable. Il n'accepterait jamais cette deuxième mort. Il avait été gorgé de mort, même lorsque le fantôme aimant de sa tendre défunte venait l'apaiser au pire de ses cauchemars. Alexia de Nilanay avait chassé l'ombre tenace qui collait à ses jours et à ses nuits, elle avait ramené avec elle le goût de la vie. Il voulait désespérément de cette vie qui l'avait fui tellement longtemps. Aussi avait-il accepté la requête de sa future, certain que rien ne lie davantage les êtres que la liberté de choisir.
    L'entrée fracassante de Marguerite Bonnel, sœur hôtelière, tira Alexia de Nilanay de ses pensées. Ce n'est que lorsque la moniale joviale se rua vers elle, mains tendues en cordialité, que son visage lui sembla familier. Ce front un peu bas, ces sourcils broussailleux presque rectilignes, ces yeux affleurants d'un chaud noisette. À n'en point douter Marguerite, bien que plus âgée, devait être de la parentèle de Rolande Bonnel, leur laborieuse mais tenace sœur dépositaire. Chère Rolande qui avait offert son amitié à Alexia, alors Marie-Gillette d'Andremont, du temps de son séjour en ce lieu. Et sa protection, bien qu'elle n'ait été que de piètre utilité. Une tendresse inattendue envahit Alexia. Brave âme que celle de Rolande qui comptait chaque fretin de l'abbaye comme si son sort en dépendait, qui alignait les colonnes de chiffres avec un soin maniaque destiné à faire savoir à toutes combien on avait eu raison de lui confier sa charge.
    – Ne seriez-vous pas parente de notre bonne Rolande ?
    Un sourire aviva encore le visage amène, bien que sans grâce, de

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